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Réduites et réduites secondaires dans un développement en fraction continue11. 2010 MSC Classification : 11A55, 11J70

par Christophe Leuridan

Christophe Leuridan
Institut Fourier, Université Grenoble Alpes
100 rue des Maths
38610 Gières France
Christophe.Leuridan@univ-grenoble-alpes.fr

Résumé. Après avoir rappelé les principales définitions de la théorie du développement en fraction continue, nous voyons une caractérisation géométrique des réduites et des réduites secondaires d’un irrationnel donné. Nous donnons ensuite un critère simple pour déterminer si une fraction est ou non une réduite ou une réduite secondaire du développement en fraction continue d’un réel donné. Nous utilisons ce critère pour donner des preuves plus simples de résultats déjà connus (critères de meilleure approximation, théorème des trois longueurs).

Abstract. Convergents and semiconvergents in continued fraction expansions

After recalling the main definitions for continued fraction expansions, we give a geometric characterization for convergents and semi-convergents of irrational numbers. Then we establish a simple condition describing all fractions which are convergents (or semiconvergents) of a given real number. We use this criterion to get simpler proofs or other well-known results (characterization of the best approximations, three-gaps theorem).

Mots-clés : approximation diophantienne, fractions continues, arbre de Stern-Brocot, meilleures approximations, théorème des trois longueurs.

Le développement d’un réel en fraction continue fournit de bonnes approximations rationnelles : les réduites et les réduites secondaires. Nous en donnons ici plusieurs caractérisations :

  • une interprétation géométrique ;
  • une caractérisation à l’aide d’inégalités ;
  • une caractérisation des réduites en termes de meilleures approximations ;
  • une caractérisation en lien avec le théorème des trois longueurs.

Bien que la caractérisation à l’aide d’inégalités que nous donnons repose sur des résultats bien connus, sa formulation semble nouvelle et permet de donner des preuves plus simples des critères de meilleure approximation et du théorème des trois longueurs.

1.Rappels sur les fractions continues

Cette partie vise à rappeler les principales définitions, notations et formules utiles pour la suite. Les démonstrations et les calculs sont esquissés. Pour plus de détails, le lecteur pourra consulter par exemple le livre de Duverney  ou de Khinchin .

1.1.Fractions continues finies

Lorsque a0 est un nombre réel et a1,,an des réels strictement positifs, nous notons

                    ----1-----
[a0;a1,...,an ] := a0 + a1 +-1---.
                        ...+-1
                           an
Une telle écriture est une fraction continue finie.

Définissons les réels (pk)-2kn et (qk)-2kn par p-2 = 0, q-2 = 1, p-1 = 1, q-1 = 0, et pour tout k ∈ {0, , n},

pk = akpk- 1 + pk-2, qk = akqk- 1 + qk- 2.

Une récurrence montre que pour tout k ∈{0,,n + 1} et x ∈]0,+[,

               xpk-1 + pk- 2
[a0;...,ak-1,x] =------------
                xqk-1 + qk- 2
et pk-1 qk-2 - pk-2qk-1 = (-1)k. De plus, l’application x↦→[a0;,ak-1,x] est continue et strictement monotone sur ]0,+[ (croissante si k est pair, décroissante si k est impair). On en déduit les formules utiles pour la suite
[a0;...,an-1,1] = pn-1 +-pn-2, [a0;...,an- 1,an] = pn,
              qn-1 + qn-2                   qn
[a0;...,an-1,an +1] = pn +-pn-1,
                    qn + qn-1
                    pn--1
x→li+m∞ [a0;...,an-1,x] = qn-1 = [a0;...,an-1].

Dans les fractions continues que nous utilisons ici, les réels a0,,an sont des entiers, et alors qn est un entier strictement positif, pn est un entier relatif, premier avec qn, grâce à l’égalité pn-1 qn - pn qn-1 = (-1)n, si bien que pn⁄qn est l’écriture sous forme irréductible du nombre rationnel [a0 ; , an].

Inversement, tout rationnel p⁄q possède exactement deux telles écritures, la première sous la forme [a0 , , an ] avec an 2 si n 1, la seconde étant alors [a0,,an-1,an - 1,1]. La première, appelée développement standard du rationnel p⁄q, est obtenue en appliquant l’algorithme d’Euclide à p et q. En effet, l’algorithme d’Euclide consiste en une succession de divisions euclidiennes en partant de r-2 = p et r-1 = q, jusqu’à obtenir un reste nul :

 r-2  =  r-1a0 +r0,
 r-1  =  r0a1 + r1,
  ... =  ...
rn-3  =  rn-2an-1 +rn-1,

rn-2  =  rn-1an + rn.
Les restes successifs vérifient r-1 > r0 > r1 > > rn-1 > rn = 0. Le dernier reste non nul rn-1 est le PGCD de r-2 = p et r-1 = q, qui vaut 1 si la fraction p⁄q est irréductible. Les égalités
r-2=a0+ r0-,  r-1= a1 + r1,..., rn-3 = an-1 + rn-3, rn-2 = an
r-1 r- 1   r0        r0    rn-2         rn-2   rn-1
montrent que
p   r--2
q = r- 1 = [a0,...,an].
De plus, si n 1 alors rn-2 > rn-1, d’où an 2.

1.2.Fractions continues infinies

Soient maintenant a0 un entier relatif et (an)n1 une suite d’entiers strictement positifs. Définissons les suites d’entiers (pn)n-2 et (qn)n-2 par les mêmes formules que précédemment.

Avec l’égalité q-1 = 0 et la relation de récurrence qn = anqn-1 + qn-2, on montre que la suite (qn )n0 d’entiers strictement positifs est croissante, et même strictement croissante à partir du rang 2. En particulier, elle tend vers + . Or, pour tout n 0, on a

                    n      pn+1  pn   -(- 1)n
pn+1qn - qn+1pn = (- 1) , donc qn+1 - qn = qnqn+1.

Comme la suite (1(qnqn+1))n0 décroît et tend vers 0, le théorème des séries alternées s’applique.

On en déduit la convergence de la suite (pn⁄qn)n0 vers un réel λ, ce qui permet de définir la fraction continue infinie [a0;a1,a2,] par

[a0;a1,a2,...] := nli→m+∞ [a0;a1,...,an].
De plus,
p0 < p2 < ⋅⋅⋅ < λ < ⋅⋅⋅ < p3 < p1.
q0   q2                q3   q1
En particulier, le signe de la différence λ - pn⁄qn est donné par (-1)n et
an+2- = |pn+2- pn | < |λ - pn| < |pn+1 - pn| =-1--
qnqn+2    qn+2  qn        qn    qn+1   qn   qnqn+1
car pn+2 qn - qn+2pn = (pn + an+2pn+1)qn - (qn + an+2qn+1)pn = (-1)nan+2. Comme
 1    a                   1
----≤ -n+2 < |qnλ- pn| <----,
qn+2    qn+2              qn+1
la suite (|qnλ-pn|)n0 est strictement décroissante et tend vers 0. Notons aussi que λ est irrationnel puisque 0 est un point d’accumulation du groupe Z + λZ.

Inversement, tout nombre irrationnel θ possède un unique développement sous forme de fraction continue infinie, fourni par une variante de l’algorithme d’Euclide, appelée anthyphérèse, où l’on pose successivement

θ0=θ,a0 := ⌊θ0⌋, θ1 := ---1-- , a1 := ⌊θ1⌋, θ2 :=  --1---,...
                 θ0 - a0                   θ1 - a1
Montrons que la suite d’entiers (an)n0 ainsi construite convient effectivement, c’est-à-dire que la limite λ = [a0 ; a1 ,a2,] est égale à θ.

On vérifie par récurrence que θn est bien défini et irrationnel. Ensuite, comme

         1-           -1
θ0 = a0 + θ1, θ1 = a1 + θ2,...,
on a, pour tout n 0, l’égalité θ = θ0 = [a0;a1,,an-1n]. Mais, avec les notations précédentes, on a aussi
pn⁄qn = [a0;a1,...,an-1,an].
Comme θn > an , on en déduit que θ > pn⁄qn si n est pair, θ < pn⁄qn si n est impair. Par passage à la limite on obtient θ λ et θ λ, d’où l’égalité voulue.

Remarque 1. — Le réel θn a pour développement [an;an+1,]. Par ailleurs, les formules vues pour les fractions continues finies montrent les égalités

θ = [a0;a1,...,an-1,θn] = θnpn-1 +-pn-2-.
                       θnqn-1 + qn-2

Définition 1. — Soient θ un nombre irrationnel et [a0;a1,a2,] son développement en fraction continue. On appelle

  • quotients partiels (de θ) les entiers a1,a2, ,
  • (fractions) réduites (de θ) les nombres rationnels
    pn
 qn = [a0;a1,⋅⋅⋅,an], pour n ≥ 0,
  • réduites secondaires (de θ) les nombres rationnels
    bpn-1 +-pn-2-= [a0;a1,⋅⋅⋅,an-1,b], pourn ≥ 1etb ∈ {1,...,an - 1}.
bqn-1 + qn-2

La relation pn-1 qn-2 -pn-2qn-1 = (-1)n montre que toutes ces fractions sont écrites sous forme irréductible.

Remarque 2. — Si θ est rationnel, on définit de la même façon les quotients partiels, les réduites et les réduites secondaires à partir de son développement standard θ = [a0;a1,,aN] (c’est-à-dire avec aN 2 si N 1).

2.Interprétation géométrique des réduites et des réduites secondaires

PIC

Fixons un irrationnel θ = [a0;a1,a2,] et définissons les suites (θn)n0, (pn)n-2 et (qn)n-2 comme précédemment. Notons V n = (qn,pn) pour tout n -2, i.e. V -2 = (1,0), V -1 = (0,1) et pour tout n 0, V n = anV n-1 + V n-2.

Soit L la forme linéaire sur R2 définie par L(x,y) = θx - y. Pour tout n -2, notons ln = (-1)n L(V n ) = (-1)n(qnθ - pn). Alors ln > 0 dès que n -1, l-2 = θ, l-1 = 1, l0 = θ - ⌊θ, et pour tout n 0, ln = ln-2 - anln-1.

Une récurrence montre que pour tout n 0, θn = ln-2⁄ln-1, d’où

an=⌊ℓn-2⁄ℓn- 1⌋  =   max{b ∈ Z : bℓn-1 ≤ ℓn-2}
          =   max{b ∈ Z : (ℓ - bℓ  )⁄ℓ   ≥ 0}
                          n- 2   n- 1  n-2
          =   max{b ∈ Z : L(Vn-2 +bVn- 1)⁄L(Vn-2) ≥ 0}.
Ainsi, an est le plus grand entier tel que les vecteurs V n-2 et V n-2 + anV n-1 appartiennent au même demi-plan fermé bordé par la droite d’équation y = θx.

Venons-en à l’interprétation des réduites et des réduites secondaires.

PIC

Théorème 1. — Notons C- et C+ l’enveloppe convexe de

E-={(q,p) ∈ Z+ × Z : p < qθ}etE+ = {(q,p) ∈ Z+ × Z : p > qθ}.
Posons V ʹ-2 = (0,-1). Soient f- et f+ les fonctions continues et affines par morceaux sur R+ dont les graphes sont les lignes polygonales infinies V ʹ-2V 0V 2V 4 et V -1V 1V 3V 5. Alors
1.
f- est concave et f+ est convexe ;
2.
si C- = {(x,y) ∈R+ ×R : y f-(x)} et C+ = {(x,y) ∈R+ ×R : y f+(x)}, alors est C- est l’hypographe de f- et C+ l’épigraphe de f+ ;
3.
les points extrémaux de C- sont V ʹ-2,V 0,V 2,V 4, sauf éventuellement V 0, et les points extrémaux de C+ sont V -1,V 1,V 3,V 5 ;
4.
exceptés V ʹ-2 et V -1, les points entiers sur la réunion des graphes de f- et f+ sont exactement les couples (q,p) tels que p⁄q est une réduite ou une réduite secondaire de θ.

Démonstration. Nous prouvons les résultats pour C- seulement, puisque les résultats concernant C+ reposent sur les mêmes arguments en dehors de ceux relatifs au segment [V ʹ-2 V 0 ].

(1) Comme V 2n - V 2n-2 = a2nV 2n-1 pour tout n 0, les pentes successives de la ligne polygonale V ʹ-2 V 0V 2V 4 sont

a0 +-1  p1   p3  p5
  1  ≥  q1 > q3 > q5 > ...,
la première inégalité provenant de (a0 + 1)q1 = (a0 + 1)a1 a1a0 + 1 = p1. On en déduit la concavité de f- .

(2) L’assertion 1 montre que l’hypographe de f- est convexe. Pour montrer qu’il contient C-, il suffit de vérifier qu’il contient E-.

Soit V = (q, p) in E-. Pour tout n 0,

p                          p       p
- < θ < ⌊θ⌋ +1 = a0 + 1 et - < θ < -2n+1.
q                          q       q2n+1
Les entiers p - (a0 + 1)q et q2n+1p - p2n+1q sont strictement négatifs, ce qui entraîne que
p- (a0 + 1)q ≤ - 1 etq2n+1p - p2n+1q ≤ - 1.
Le vecteur V est donc en dessous (au sens large) des droites (V ʹ-2V 0) et (V 2nV 2n+2). Ainsi V appartient à l’hypographe de f-, ce qui montre l’inclusion voulue.

Pour montrer l’inclusion réciproque, fixons M = (x,y) dans l’hypographe de f-.

Fixons un entier m tel que f-(x) -m y f-(x). Parmi les segments [0,1] et [q2n,q2n+2] pour n 0, notons [q, qʹ] le segment ou l’un des deux segments contenant x. Comme la restriction de f- à [q, qʹ] est affine, le point M appartient au parallélogramme de sommets (q,f-(q)), (q, f- (q) - m), (qʹ,f-(qʹ)), (qʹ,f-(qʹ) - m), donc à C-.

(3) On vérifie que tout point extrémal de C- appartient nécessairement au graphe de f- et même à l’ensemble {V ʹ-2,V 0,V 2,V 4,} : en effet, tout autre point de C- peut s’écrire comme milieu de deux points distincts de C-.

Étant donné un entier n 1, on peut choisir un réel s compris strictement entre p2n-1⁄q2n-1 et p2n+1 ⁄q2n+1 , si bien que la fonction x↦→f-(x) -sx admet un unique maximum M sur [0,+[, atteint en q2n . Ainsi, pour tout (x,y) ∈ C-,

y - sx ≤ f- (x)- sx ≤ M,
avec égalité si et seulement si (x,y) = V 2n. Soit g : R2 R la forme linéaire définie par g(x, y) = y - sx. Si V 2n est le milieu d’un segment [A,B] C-, on a alors
g(A )+ g(B ) = 2g(V2n) = 2M, g(A) ≤ M etg(B) ≤ M.
Ainsi g(A) = g(B) = M d’où A = B = V 2n, ce qui montre l’extrémalité de V 2n.

On prouve de même l’extrémalité de V ʹ-2, en choisissant s > a0 + 1.

Si a0 + 1 > p1 ⁄q1, on prouve de même l’extrémalité de V 0, en choisissant s entre a0 + 1 et p1⁄q1. Sinon, V 0 est une combinaison convexe non triviale de V ʹ-2 et V 2, donc V 0 n’est pas extrémal dans C- .

(4) Les premières coordonnées de V ʹ-2 et V 0 sont 0 et 1, donc ces points sont les seuls points entiers sur le segment [V ʹ-2,V 0].

Pour tout n 1, V 2n - V 2n-2 = a2nV 2n-1. Comme les deux coordonnées de V 2n-1 sont premières entre elles, les seuls points entiers sur le segment [V 2n-2,V 2n] sont les points V 2n-2 + bV 2n-1 avec b ∈{0,,a2n}. cqfd

3.Caractérisation par des inégalités

Le principal résultat que nous prouvons ici est le suivant.

Théorème 2. — Soient θ un nombre réel, p et q 2 deux entiers premiers entre eux. Soit u l’inverse de p modulo q, choisi dans l’intervalle d’entiers {1,,q - 1}, et v l’unique entier tel que up - vq = 1. Alors

1.
On a
v-< p+-v-< p < 2p--v-< p---v.
u   q+ u   q   2q- u   q - u
(1)

2.
La fraction p⁄q est une réduite ou une réduite secondaire de θ si et seulement si
- 1            1         v       p- v
---< qθ - p <-----,  i.e. --< θ < ----.
 u           q - u       u       q- u
(2)

3.
La fraction p⁄q est une réduite de θ si et seulement si
-- 1-< qθ- p < --1--,  i.e. -p+-v < θ < 2p---v.
q+ u           2q- u       q + u      2q - u
(3)

Remarque 3. — La condition  reste valable lorsque q = 1 à condition d’adopter la convention u = 1 et v = p - 1 ; elle dit alors que p = [p] = [p - 1,1] est une réduite de θ si et seulement si p - 12 < θ < p + 1.

Exemple 1. — Si p = 7 et q = 10, alors u = 3 et v = 2. Ainsi, 710 est une réduite ou une réduite secondaire de θ si et seulement si 23 < θ < 57, et 710 est une réduite de θ si et seulement si 913 < θ < 1217.

Comme 1 u q - 1, le théorème  entraîne immédiatement le résultat suivant.

Corollaire 1. — Soient p et q 2 deux entiers premiers entre eux. Alors

p ---1----                              p    ---1---
∙|θ-q|< q(2q- 1) = ⇒ p⁄q estuner´eduitedeθ =⇒ |θ- q | ≤ q(q+ 1).
p ---1---
∙|θ-q|< q(q- 1) =⇒ p⁄q estuner´eduiteou une re´duite secondairede θ.

Ces conditions améliorent légèrement les implications classiques

|θ-p⁄q|<1⁄(2q2) =⇒   p⁄q estuner´eduitedeθ
                           2
         =⇒   |θ- p⁄q| < 1⁄q
         =⇒   p⁄q estuner´eduiteouune r´eduitesecondairedeθ.

Le théorème  a une autre conséquence remarquable.

Corollaire 2. — Gardons les hypothèses et les notations du théorème  et supposons que p⁄q est une réduite ou une réduite secondaire de θ.

1.
Les fractions v⁄u et (p-v)(q-u) sont aussi des réduites ou des réduites secondaires de θ.
2.
Si u q - u, alors v⁄u est une réduite de θ.
3.
Si u > q - u, alors (p - v)(q - u) est une réduite de θ.

Démonstration du théorème 2. À l’aide de la relation up - vq = 1, on vérifie directement les inégalités  en calculant les différences et on vérifie que les deux formulations données pour chacune des conditions  et   sont équivalentes. Notons

p
q =: [b0;b1,...,bn] = [b0;b1,...,bn - 1,1],
et Pk ⁄Qk := [b0 ; b1 ,,bk] pour tout k ∈{0,,n}, d’où (Pn,Qn) = (p,q). Les égalités
                                      n-1
Qn-1p - Pn-1q = Qn -1Pn - Pn -1Qn = (- 1)
montrent que (u, v) est égal à (Qn - Qn-1,Pn - Pn-1) si n est pair, (Qn-1,Pn-1) si n est impair. Notons par ailleurs les égalités
Pn--Pn-1-=  (bn---1)Pn--1 +-Pn-2-= [b0;b1,...,bn - 1].
Qn- Qn -1   (bn - 1)Qn -1 + Qn- 2
et
2Pn--Pn--1   2(Pn-- Pn--1)+-Pn-1
2Qn- Qn -1 = 2(Qn - Qn -1)+ Qn- 1 = [b0;b1,...,bn - 1,2].
Vu les propriétés de x↦→[b0;b1,,bn-1,x] et x↦→[b0;b1,,bn-1,bn - 1,x] (continuité, monotonie, limite en + ), on obtient :
p⁄qestuner´eduite ou uner´eduitesecondairede θ
⇐⇒led´eveloppementdeθ comm ence par[b0;b1,...,bn-1,a,...]aveca ≥ bn
  ou par [b ;b,...,b  ,b - 1,...]
         0 1     n-1  n
⇐⇒led´eveloppementdeθ comm ence par[b0;b1,...,bn-1,a,...]aveca ≥ bn - 1
⇐⇒θestcomprisentre[b0;b1,...,bn-1,bn - 1]et[b0;b1,...,bn- 1]
      -Pn --Pn--1 -Pn-1
⇐⇒θestcomprisentreQn - Qn -1 etQn -1
vp- v
⇐⇒u<θ<q--u-.
De même,
p⁄qestuner´eduitede θ
⇐⇒led´eveloppementdeθ com mencepar[b0;b1,...,bn,...]
  oupar[b0;b1,...,bn-1,bn - 1,1,...]
⇐⇒θestcompris entre[b ;b ,...,b   ,b]incluset[b;b ,...,b   ,b + 1]
       0  1     n-1 n          0 1     n-1  n
ouentre[b0;b1,...,bn-1,bn - 1,1]incluset[b0;b1,...,bn-1,bn - 1,2]
⇐⇒θestcompris entre Pn-incluset-Pn +-Pn--1ou 2Pn---Pn-1
      Qn        Qn + Pn -1   2Qn - Qn-1
      Pn-+-Pn-1-  2Pn---Pn-1-
⇐⇒θestcompris entreQn + Pn-1 et2Qn - Qn-1
p+v 2p- v
⇐⇒q+u<θ< 2q--u-.
Ceci achève la preuve du théorème . cqfd

Démonstration du corollaire . Supposons que p⁄q est une réduite ou une réduite secondaire de θ. Le théorème  fournit

v-      p--v-
u < θ < q- u.
(4)

   Cas où u = q - u. La relation up - vq = 1 montre que u = 1 et q = 2, d’où p = 2v + 1 et v < θ < v + 1. Ainsi v⁄u = v = θest une réduite de θ tandis que (p-v)(q -u) = v + 1 = θ+ 1 est une réduite ou une réduite secondaire.

  Cas où u < q -u. Comme u ∈{1,,q -u- 1} et u(p-v) -v(q -u) = 1, on peut appliquer le théorème  à (p1,q1,u1,v1) := (p - v,q - u,u,v) : les inégalités

v1 = v-< θ < p---v= p1<  p1 --v1
u1   u      q - u   q1   q1 - u1
montrent que (p - v)(q - u) est une réduite ou une réduite secondaire.

Si u = 1, l’inégalité () donne v < θ < v + 1(q - 1) puisque p - v = up - v = v(q - 1) + 1, si bien que v⁄u = θest une réduite. Sinon, u ne peut pas diviser q et la division euclidienne de q par u donne q = ku + qʹ avec k 2 et qʹ∈{1,,u - 1}. Posons p = kv + pʹ. Comme (u - qʹ)v - (v - pʹ)u = 1 et u - qʹ∈{1,,u - 1}, on peut appliquer le théorème  à (p2 , q2 , u2 , v2 ) := (v,u,u - qʹ,v - pʹ) : les inégalités

                                ʹ       ʹ
p2+v2<  p2= v-< θ < p--v-= (k-- 1)v-+pʹ ≤ v+-pʹ = 2p2 --v2
q2+u2  q2   u       q- u   (k - 1)u + q  u+ q    2q2 - u2
montent que v⁄u est une réduite.

  Cas où u > q -u. Comme 0 < 2u-q < u et (2u-q)v - (2v -p)u = 1, on peut appliquer le théorème  à (p3 , q3,u3,v3) := (v,u,2u - q,2v - p) : les inégalités

v3 < p3=  v< θ < p---v=  p3 --v3
u3   q3   u      q - u   q3 - u3
montent que v⁄u est une réduite ou une réduite secondaire.

Si q - u = 1, l’inégalité () donne p - v - 12 p - v - 1⁄u = v⁄u < θ < p - v puisque u(p - v) - 1 = up - vq + v - 1 = v, si bien que (p - v)(q - u) = p - v est une réduite. Sinon, q - u ne peut pas diviser q et la division euclidienne de q par q - u donne q = k(q - u) + qʹʹ avec k 2 et qʹʹ∈{1,,q - u - 1}. Posons p = k(p - v) + pʹʹ. Comme qʹʹ (p - v) - pʹʹ (q -u) = q(p-v) -p(q -u) = 1 et qʹʹ∈{1,,q -u- 1}, on peut appliquer le théorème  à (p4 , q4,u4,v4) := (p - v,q - u,qʹʹ,pʹʹ) : les inégalités

p4+v4p-v-+-pʹʹ   (k---1)(p---v)+-pʹʹ   v-     p-- v  p4   2p4 --v4
q4+u4=q-u + qʹʹ ≤ (k - 1)(q - u)+ qʹʹ = u < θ < q- u = q4 < 2q4 - u4
montrent que (p - v)(q - u) est une réduite. cqfd

En fait, les fractions v⁄u, (p - v)(q - u), (p + v)(q + u), (2p - v)(2q - u) qui apparaissent dans l’énoncé du théorème  ont une interprétation simple.

Proposition 1. — Sous les hypothèses du théorème , on a les résultats suivants.

1.
La fraction v⁄u est la plus grande fraction strictement inférieure à p⁄q parmi toutes les fractions de dénominateur au plus q.
2.
La fraction (p - v)(q - u) est la plus petite fraction strictement supérieure à p⁄q parmi toutes les fractions de dénominateur au plus q.
3.
La fraction (p + v)(q + u) est la fraction de plus petit dénominateur appartenant à l’intervalle ]v⁄u,p⁄q[.
4.
La fraction (2p - v)(2q - u) est la fraction de plus petit dénominateur appartenant à l’intervalle ]p⁄q,(p - v)(q - u)[.

La proposition  découle immédiatement du lemme classique ci-dessous.

Lemme 1. — Soient A⁄B et C⁄D deux fractions sous forme irréductible telles que AD - BC = -1. Alors la fraction (A + C)(B + D) est celle ayant le plus petit dénominateur dans l’intervalle ouvert ]A⁄B,C⁄D[.

Démonstration En calculant les différences et en utilisant l’égalité AD -BC = -1, on vérifie les inégalités

A-< A-+-C-<  C.
B   B + D    D
Si E et F 1 sont des entiers tels que E⁄F appartient à ]A⁄B,C⁄D[, alors
  (       )  (       )
1=C-A=   C-- E-  +  E-- A-  = FC---ED--+ BE--- AF-≥ -1--+ -1--,
BDDB   D   F      F   B       F D         BF      F D   BF
donc F B + D. cqfd

4.Lien avec l’arbre de Stern-Brocot

L’arbre de Stern-Brocot, introduit indépendamment par Stern  et Brocot , est un arbre binaire dont les sommets sont les nombres rationnels strictement positifs (ou de façon équivalente, les couples d’entiers strictement positifs premiers entre eux).

Pour le construire, on définit par récurrence une suite croissante de subdivisions de l’intervalle [01, 10] = [0, +] comme suit. La subdivision S0 est la paire {01,10}. Supposons que pour un entier n 0, la subdivision Sn a exactement 2n + 1 points délimitant 2n intervalles, et que chaque intervalle est de la forme [A⁄B,C⁄D], où A,B,C,D sont des entiers positifs tels que AD - BC = -1. On obtient Sn+1 à partir de Sn en coupant chaque intervalle [A⁄B,C⁄D] au point (A + C)(B + D), si bien que Sn+1 a exactement 2n+1 + 1 points délimitant 2n+1 intervalles, chaque intervalle étant de la forme [Aʹ⁄Bʹ,Cʹ⁄Dʹ], où Aʹ,Bʹ,Cʹ,Dʹ sont des entiers positifs tels que AʹDʹ- BʹCʹ = -1.

L’arbre de Stern-Brocot est l’arbre binaire enraciné infini dont les 2n sommets au niveau n sont les fractions de Sn+1 \Sn rangées par ordre croissant de gauche à droite. Il admet pour racine (0 + 1)(1 + 0) = 11 ; quant à ses deux enfants, ce sont (0 + 1)(1 + 1) = 12 et (1 + 1)(1 + 0) = 21, et ainsi de suite.

PIC

Toute fraction strictement positive p⁄q apparaît une fois et une seule dans l’arbre et sa position peut être décrite de façon récursive : si q = 1, alors p⁄q est sur la branche la plus à droite ; si q 2, notons u l’inverse de p modulo q, choisi dans l’intervalle {1,,q - 1}, et v l’unique entier tel up - vq = 1. Comme v(q - u) - u(p - v) = -1, la fraction

p⁄q = (v + (p- v))⁄(u +(q - u ))
est la fraction inserée dans l’intervalle [v⁄u,(p-v)(q -u)]. Ainsi, le sommet p⁄q est l’enfant de droite du sommet v⁄u si u > q - u, et l’enfant de gauche du sommet (p - v)(q - u) si u q - u. Les fractions (p + v)(q + u) et (2p - v)(2q - u) sont les deux enfants de p⁄q. Remarquons que si u = q - u, alors u = q - u = 1, q = 2 et v = (p - 1)2 puisque u et q sont premiers entre eux.

Nous pouvons préciser la localisation dans l’arbre de Stern-Brocot de toute fraction strictement positive à l’aide de son développement en fraction continue.

Théorème 3. — Soient p⁄q une fraction strictement positive et [a0;a1,an] son développement standard en fraction continue (donc an 2 si n 1).

1.
Pour trouver p⁄q dans l’arbre de Stern-Brocot en descendant de la racine, il suffit d’effectuer a0 pas vers la droite, a1 pas vers la gauche,..., an-1 pas vers la gauche si n est pair (vers la droite si n est impair), et an - 1 pas vers la droite si n est pair (vers la gauche si n est impair).
2.
En dehors des entiers compris entre 1 et p⁄q⌋-1, les sommets visités sont les réduites et les réduites secondaires de p⁄q. De plus les réduites sont les sommets qui précèdent un changement de direction.

Démonstration Notons (pk⁄qk)0kn les réduites de p⁄q, avec en outre les égalités de définition (p-2 , q-2) = (0,1) et (p-1,q-1) = (1,0). La racine est la fraction 11, qui a été insérée dans l’intervalle [01,10] = [p-2⁄q-2,p-1⁄q-1] lors de la construction de l’arbre.

Les a0 premiers pas à droite nous mènent successivement à

2,..., a0 = p0 et a0 +-1-= p-1 +-p0.
1     1   q0     1     q-1 + q0
Cette dernière fraction a été insérée dans l’intervalle [a01,10] = [p0⁄q0,p-1⁄q-1].

Les a1 pas suivants vers la gauche nous mènent successivement à

p-1+2p0,..., p-1 +-a1p0= p1et p-1-+-(a1-+-1)p0 = p0 +-p1.
q-1+2q0     q-1 + a1q0  q1  q-1 + (a1 + 1)q0   q0 + q1
Cette dernière fraction est celle qui a été insérée dans l’intervalle [p0⁄q0,p1⁄q1].

On continue ainsi jusqu’aux an-1 pas vers la gauche si n est pair, vers la droite si n est impair, qui nous mènent à (pn-2 + pn-1)(qn-2 + qn-1), qui est la fraction insérée entre pn-2 ⁄qn-2 et pn-1⁄qn-1. Les an - 1 derniers pas nous mènent successivement à

pn-2-+-2pn--1    pn-2-+anpn--1  pn
qn-2 + 2qn- 1,...,qn-2 +anqn- 1 = qn .
On en déduit les affirmations du théorème . cqfd

En utilisant la croissance des fractions en allant de gauche à droite dans l’arbre et le fait que tout rationnel strictement positif est un sommet de l’arbre, on peut adapter le résultat précédent aux branches infinies.

Remarque 4. — Le long de toute branche infinie de l’arbre de Stern-Brocot, la suite de fractions possède une limite dans [0,+]. Un algorithme similaire à celui du théorème  permet de suivre la branche infinie qui converge vers un irrationnel positif donné, et on a les mêmes caractérisations pour les réduites et les réduites secondaires.

5.Meilleures approximations

Nous nous intéressons maintenant aux fractions p⁄q qui approchent le mieux un réel θ donné lorsqu’on fixe une borne pour le dénominateur. Deux définitions naturelles sont possibles, suivant qu’on choisit de considérer |p⁄q - θ| ou |p - |.

Définition 2. — Soient p et q 1 deux entiers premiers entre eux.

La fraction p⁄q est une meilleure approximation de Huygens de θ si pour tous entiers pʹ et qʹ tels que 1 qʹ q, on a |pʹ⁄qʹ- θ||p⁄q - θ|, avec égalité seulement si (pʹ,qʹ) = (p,q).

La fraction p⁄q est une meilleure approximation de Lagrange de θ si pour tous entiers pʹ et qʹ tels que 1 qʹ q, on a |pʹ- qʹθ||p - |, avec égalité seulement si (pʹ,qʹ) = (p,q).

Toute meilleure approximation de Lagrange est nécessairement une meilleure approximation de Huygens (pour le voir, il suffit de multiplier membre à membre les inégalités |pʹ-qʹθ||p-| et 1⁄qʹ 1⁄q), mais la réciproque est fausse : voir exemple ci-dessous.

Proposition 2. — Soient p ∈Z et q 2 deux entiers premiers entre eux. Notons u ∈{1,,q - 1} l’inverse de p modulo q et v l’entier tel que up - vq = 1. La fraction p⁄q est une meilleure approximation de Huygens de θ si et seulement si

- 1-< qθ- p <---1---,
2u           2(q- u)
soit encore
1(p   v)       1(p   p--v)
2 q + u  < θ < 2 q + q- u  .

Démonstration Nous avons vu à la section  que parmi les fractions de dénominateur au plus q, la plus grande fraction inférieure à p⁄q et la plus petite fraction supérieure à p⁄q sont respectivement v⁄u et (p - v)(q - u). Pour tester si p⁄q est une meilleure approximation de Huygens de θ, il suffit donc de comparer la distance |p⁄q - θ| aux distances |v⁄u - θ| et |(p - v)(q - u) - θ|. On en déduit la condition nécessaire et suffisante annoncée. cqfd

Le résultat classique qui suit constitue une des raisons de l’intérêt des fractions continues.

Théorème 4. — Soit θ ∈R.

1.
Toute meilleure approximation de Huygens est une réduite ou une réduite secondaire de θ.
2.
Toute meilleure approximation de Lagrange est une réduite de θ.
3.
Toute réduite de θ est une meilleure approximation de Lagrange de θ, hormis θsi θ - ⌊θ12.

En revanche, les réduites secondaires ne sont pas toujours des meilleures approximations de Huygens, comme le montre l’exemple ci-dessous.

Exemple 2. — Les premières réduites de √ -
  6 = [2;2,4,] sont

2,  1-+-2×-2 = 5,  2-+4-×-5=  22.
1   0 + 2× 1   2   1 +4 × 2   9
Les fractions
2-+-5   7   2+-2×-5-  12
1 + 2 = 3,  1+ 2× 2 =  5
sont des réduites secondaires.

Comme √
6 - 73 > 52 -√ -
  6 > 0, la fraction 73 n’est pas une meilleure approximation de Huygens de √
6. On vérifie que 125 est une meilleure approximation de Huygens de √-
 6, mais cette fraction ne peut être une meilleure approximation de Lagrange, d’après le théorème .

Démonstration du théorème . Soit [a0;a1,] le développement de θ en fraction continue et (pn ⁄qn )n0 les réduites. Si θ est rationnel, on note [a0;a1,,aN] le développement principal de θ, les réduites pn ⁄qn sont définies alors seulement pour n ∈{0,,N}.

Soient p et q 1 deux entiers premiers entre eux.

Si q = 1, p⁄q est une meilleure approximation de Huygens de θ (ou de Lagrange, ce qui est équivalent dans ce cas) si et seulement si p est le seul entier minimisant la distance à θ. Cet entier est a0 = p0 ⁄q0 si θ - a0 < 12, a0 + 1 = p1⁄q1 si θ - a0 > 12, et n’est pas unique si θ - a0 = 12.

Concentrons-nous maintenant sur le cas où q 2, et reprenons les notations du théorème . Rappelons que u et q - u sont dans {1,,q - 1} et que

v-< p+-v-< p < 2p---v<  p--v.
u   q+ u   q   2q - u   q- u

Si p⁄q est une meilleure approximation de Huygens de θ, alors

v-  1(-v  p )      1(p   p---v)   p--v-
u < 2 u + q  < θ < 2 q + q - u <  q- u,
d’après la proposition . Le théorème  montre alors que p⁄q est une réduite ou une réduite secondaire de θ, ce qui démontre le point 1.

Si p⁄q est une meilleure approximation de Lagrange de θ, alors

|qθ - p| < |uθ - v|et|qθ- p| < |(q - u)θ - (p - v)|.
Comme p⁄q est aussi une meilleure approximation de Huygens de θ, on vient de voir que v⁄u < θ < (p - v)(q - u), d’où - v > 0 > (q - u)θ - (p - v). Ainsi,
p-qθ≤ |qθ - p| < uθ- v etqθ - p ≤ |qθ - p| < (p- v)- (q- u)θ,
donc p + v < (q + u)θ et (2q - u)θ < 2p - v, et le théorème  montre que p⁄q est une réduite de θ.

Montrons enfin que si qn 2, la réduite pn⁄qn est une meilleure approximation de Lagrange de θ. Soient p ∈ Z et q ∈{1,,qn} deux entiers minimisant |- p|. S’il n’y a pas unicité, prenons q aussi petit que possible ; il n’y aura pas de choix pour p puisque

                    1    1
|qθ - p| ≤ |qnθ - pn| <-≤  -.
                    qn   2
Alors p et q sont premiers entre eux et p⁄q est une meilleure approximation de Lagrange de θ. Donc (p, q) = (pk , qk ) avec k ∈{0,,n}. Comme |- p||qnθ - pn|, on a k = n nécessairement. cqfd

Parmi les réduites secondaires de θ, quelles sont celles qui fournissent une meilleure approximation de Huygens ? La règle de la moitié  fournit une caractérisation à l’aide du développement en fraction continue de θ.

Théorème 5. — Posons θ = [a0;a1,] et considérons une réduite secondaire

pbpn-1 + pn-2
q=bqn-1 +-qn-2-= [a0;...,an-1,b]avecn ≥ 1etb ∈ {1,...,an - 1}.
Pour que [a0 ; , an-1 , b] soit une meilleure approximation de Huygens de θ, il faut et il suffit que
[2b;an- 1,...,a1] > [an;an+1,...].

Remarque 5. — Lorsque θ est irrationnel, l’inégalité [2b;an-1,,a1] > [an;an+1,] a lieu uniquement dans les cas suivants :

  • 2b > an ;
  • 2b = an et an-1 < an+1 ;
  • (2b, an-1 ) = (an,an+1) et an-2 > an+2 ;
  • (2b, an-1 , an-2) = (an,an+1,an+2) et an-3 < an+3 ;
  • ...
  • (2b, an-1 , ,a2) = (an,an+1,,a2n-2) et a1 < a2n-1 si n est pair, a1 > a2n-1 si n est impair.
  • (2b, an-1 , ,a1) = (an,an+1,,a2n-1) et n pair.

Entre deux réduites consécutives, les réduites secondaires qui sont des meilleures approximations de Huygens sont donc celles de la deuxième moitié .

Démonstration Notons θn = [an;an+1,]. D’après la remarque ,

θ = θnpn-1 +-pn-2, doncθn = - θqn-2 +-pn-2.
    θnqn-1 + qn-2          θqn-1 - pn- 1

D’après le théorème , parmi toutes les fractions de dénominateur strictement inférieur à q, la plus proche de θ est ou bien la réduite pn-1⁄qn-1, ou bien l’une des réduites secondaires (cpn-1 + pn-2)(cqn-1 + qn-2) avec c ∈{1,,b - 1}. Mais si n est pair,

pn-2  pn--1 +-pn-2       anpn--1 +-pn-2  pn      pn-1
qn-2<  qn- 1 + qn-2 < ⋅⋅⋅ < anqn- 1 + qn-2 = qn ≤ θ < qn-1,
et si n est impair,
pn-2>  pn--1 +-pn-2-> ⋅⋅⋅ > anpn--1 +-pn-2-= pn ≥ θ > pn-1.
qn-2  qn- 1 + qn-2       anqn- 1 + qn-2  qn      qn-1
Il suffit donc de comparer |θ - p⁄q|à |θ - pn-1⁄qn-1|. Et comme θ - p⁄q est de signe contraire à θ - pn-1 ⁄qn-1 , on a donc
| |  |       |
||θ-p || < ||θ - pn-1|| ⇐ ⇒   - ---qθ--p----< -q--
q        qn-1           qn-1θ- pn-1   qn-1
                ⇐ ⇒   - b- qn-2θ--pn-2-< b+ qn-2
                           qn-1θ- pn-1      qn-1
                ⇐ ⇒   θn < 2b + qn-2.
                               qn-1
On termine en remarquant que
2b + qn-2= [2b;a   ,...,a ,]
     qn-1       n- 1     1
puisque
q            q          q        q    q
-n-1 = an-1 +-n-3,⋅⋅⋅,  -2= a2 + -0,  1-= a1.
qn-2         qn-2       q1       q1   q0
cqfd

6.Caractérisation à l’aide de la suite des () mod 1

Fixons θ ∈ R , et considérons la suite de réels (xn)n0 définie par

xn = {nθ} = n θ- ⌊nθ⌋.
Pour chaque n 1, les réels x0,,xn-1 partagent l’intervalle [0,1[ en n sous-intervalles (éventuellement vides). Le théorème des trois longueurs affirme que ces intervalles ont au plus trois longueurs différentes ; de plus s’il y a effectivement trois longueurs différentes, la plus grande est la somme des deux autres. On trouve de nombreuses preuves différentes de ce résultat, voir par exemple . Nous en donnons une nouvelle avec l’aide du théorème . Nous démontrons le résultat plus précis suivant.

Théorème 6. — Soit n 2. Supposons que θ est soit irrationnel, soit une fraction irréductible de dénominateur strictement plus grand que n. Soit p⁄q la première réduite ou réduite secondaire de θ telle que q n. Notons u ∈{1,,q - 1} l’inverse de p modulo q et v l’entier tel que up-vq = 1. Posons l = - v et lʹ = (u - q)θ - (v - p).

1.
La subdivision (xk)k∈{0,,q-1} partage [0,1[ en q - u intervalles de longueur l et u intervalles de longueur lʹ. De plus, l = lʹ si et seulement si θ = p⁄q.
2.
On a u < n et q - u < n. De plus, la subdivision (xk)k∈{0,,n-1} partage [0,1[ en n-u intervalles de longueur l, n-q +u intervalles de longueur lʹ et q-n intervalles de longueur l + lʹ.

L’hypothèse que nous avons faite (θ ne peut pas s’écrire comme quotient d’un entier par un entier de {1, , n}) sert à écarter le cas trivial ci-dessous.

Remarque 6. — Si θ = A⁄B où A et B 1 sont des entiers premiers entre eux, alors pour tout n B, la subdivision (xk)k∈{0,,n-1} partage [0,1[ en B intervalles de longueur 1⁄B et n - B intervalles vides.

Démonstration du théorème . D’après le théorème , on a v⁄u < θ < (p-v)(q -u). Donc les réels l et lʹ sont strictement positifs. Remarquons que

           ʹ
(q - u)ℓ+ uℓ = (q - u)(- v)- u(v- p) = 1.
Soit σ la permutation sur {0,,q - 1} définie par σ(k) := (kp)modq. Son inverse est donné par σ-1 (k) = (ku)modq. L’assertion 1 découlera immédiatement des égalités
xσ-1(k+1) - xσ-1(k) =  ℓ   si0 ≤ σ-1(k) ≤ q- 1 - u,           (5)
                  ʹ     -1
   1- xσ-1(k)  =  ℓ   siσ  (k) = q- u, i.e. k = q - 1,   (6)
xσ-1(k+1) - xσ-1(k) =  ℓʹ  siq- u + 1 ≤ σ-1(k) ≤ q - 1.       (7)
Pour montrer ces égalités, introduisons des réels (xʹk)k∈{0,,q-1} définis par
xʹ0=0,xʹk+1- xʹk = ℓsiσ-1(k) ≤ q- 1 - u etxʹk+1 - xʹk = ℓʹ siσ- 1(k) ≥ q- u.
Comme
 -1          -1              -1
σ  (k+ 1)- σ   (k)  =  u   siσ  (k) ≤ q- 1 - u,
σ-1(k+ 1)- σ -1(k)  =  u - q  siσ-1(k) ≥ q- u,
les congruences ci-dessous sont vraies dans tous les cas :
            (                 )
xσ-1(k+1) - xσ-1(k) ≡ σ-1(k+ 1)- σ- 1(k) θ ≡ xʹk+1 - xʹk m odulo1.
Une récurrence sur k montre que xʹk xσ-1(k) modulo 1, il reste donc seulement à vérifier que xʹk ∈ [0, 1[. Par construction, la suite (xʹk)k∈{0,,q-1} est croissante, xʹ0 = 0 et
ʹq∑-2 ʹ      ʹ      q-∑ 2(                 ʹ          )
xq-1=  (xk+1 - xk) =       ℓ1[σ-1(k)≤q-1-u] + ℓ1[σ-1(k)≥q-u]
k=0               k=0
              =   (q - u)ℓ + (u - 1)ℓʹ = 1 - ℓʹ,
car σ-1 (q - 1) = (q - u). On en déduit les égalités , ,  et l’assertion 1.

Maintenant, regardons la subdivision plus grossière (xk)k∈{0,,n-1} obtenue à partir de la subdivision (xk )k∈{0,,q-1} en enlevant les q - n derniers points, à savoir les points (xk )k∈{n, ,q-1} . D’après le corollaire , les fractions v⁄u et (q - v)(p - u) sont des réduites ou des réduites secondaires de θ. Comme p⁄q est la première réduite ou réduite secondaire vérifiant q n, on a donc u < n et q - u < n.

Soit k ∈ {n, , q - 1}. Alors k > u et k > q -u. Si l’on range les points (xk)k∈{0,,q-1} par ordre croissant, les deux points précédant et suivant immédiatement xk sont donc les points xσ-1 (σ(k)-1) = xk-u et xσ-1(σ(k)+1) = xk-(q-u). Comme k - u q - 1 - u n - 1 et k - (q - u) u - 1 n- 1, ces deux points appartiennent encore à la subdivision plus grossière (xk )k∈{0, ,n-1} . Ainsi, l’effet de la suppression du point xk est de fusionner les intervalles [xk-u , xk [ et [xk ,xk+u[, dont les longueurs sont l et lʹ. Nous pouvons en déduire l’assertion 2. cqfd

Remarque 7. — Le principe de Dirichlet assure l’existence d’une infinité de fractions p⁄q telles que |- p| < 1⁄q et se démontre simplement sans faire appel aux fractions continues. Il est donc possible de reformuler et de démontrer le théorème  sans recourir aux fractions continues, en définissant la fraction p⁄q comme la fraction ayant le plus petit dénominateur au moins égal à n telle que - 1⁄u < qθ - p < 1(q - u), où u ∈{1,,q - 1} est l’inverse de p modulo q.

Le théorème  fournit une nouvelle caractérisation des réduites et réduites secondaires d’un nombre irrationnel.

Corollaire 3. — Supposons que θ est irrationnel. Soit n 3. Alors les sous-intervalles du segment [0, 1[ fournis par la subdivision (xk)k∈{0,,n-1} ont seulement deux longueurs différentes si et seulement si n est le dénominateur d’une réduite ou d’une réduite secondaire de θ.

Le corollaire  découle directement du théorème , le sens si venant de l’assertion 1 et le sens seulement si de l’assertion 2. Voici cependant une preuve alternative directe pour le sens seulement si .

Démonstration Supposons que la subdivision (xk)k∈{0,,n-1} qui partage [0,1[ a seulement deux longueurs différentes. Comme θ est irrationnel, les réels (xk)k∈{0,,q-1} sont distincts. Posons

                                          ʹ    ʹ
xu=min1≤k≤q-1xk,  xuʹ = max1≤k≤q-1xk, v = ⌊uθ⌋,  v = ⌊u θ⌋+ 1,
si bien que xu = -v et xuʹ = uʹθ -vʹ + 1. Comme x0 = 0, les sous-intervalles le plus à gauche et le plus à droite sont [0,xu[ et [xuʹ,1[. Leurs longueurs l = - v et lʹ = -uʹθ + vʹ sont différentes puisque θ est irrationnel. Soient n et nʹ le nombre de sous-intervalles de longueur l et lʹ. Alors n + nʹ = q et nl + nʹlʹ = 1. Comme 1 et θ sont linéairement indépendants sur Q, la dernière égalité entraîne nu - nʹuʹ = 0 et - nv + nʹvʹ = 1, d’où
n = ---uʹ---etnʹ =----u---.
    uvʹ - uʹv      uvʹ - uʹv
Comme n + nʹ = q, on obtient u + uʹ = (uvʹ- uʹv)q. Mais u et uʹ sont dans {1,,q - 1}, la seule possibilité est donc u + uʹ = q et uvʹ- uʹv = 1. Posons p = v + vʹ. Alors up - vq = u(v + vʹ) - v(u + uʹ) = 1 et
v      vʹ   p- v
--< θ <-ʹ = ----.
u      u    q- u
Le théorème  montre que p⁄q est une réduite ou une réduite secondaire de θ. cqfd

La figure 4 montre l’évolution des longueurs lorsqu’on ajoute les points un à un. Notons (pn ⁄qn )n0 les réduites de θ. L’ajout du point xqn fait apparaître la longueur ln = |qnθ - pn|, qui est plus courte que les longueurs déjà vues. Cette suite (ln)n0 est simplement la suite des longueurs obtenue en appliquant l’algorithme d’Euclide aux nombres θ et 1.

Remerciements. Je remercie mes collègues Jean Brossard, Monique Decauwert, Gaël Rémond et Tanguy Rivoal pour leur relecture et leurs remarques précieuses qui m’ont permis d’améliorer la rédaction.

Références

[1]   Brocot, A. Calcul des rouages par approximation, nouvelle méthode, Revue Chonométrique 3, 186–194, (1861).

[2]   Duverney D., Théorie des nombres : cours et exercices corrigés 2e édition, Dunod, (2007).

[3]   A. Khinchin, Continued fractions. Translated by Peter Wynn.(English) Groningen, The Netherlands : P. Noordhoff, Ltd. 101 pp. (1963).

[4]   J. Marklof, A. Strömbergsson, (2017), The three gap theorem and the space of lattices, American Mathematical Monthly 124-8, 741–745 (2017).

[5]   Sós, V. T., On the distribution mod 1 of the sequence , Ann. Univ. Sci. Budapest, Eötvös Sect. Math., 1 : 127–134 (1958).

[6]   Stern, M. A., Über eine zahlentheoretische Funktion, J. reine angew. Math. 55, 193–220, (1858).

[7]   Surányi, J., Über die Anordnung der Vielfachen einer reellen Zahl mod 1, Ann. Univ. Sci. Budapest, Eötvös Sect. Math., 1 : 107–111 (1958).

[8]   Świerczkowski, S., On successive settings of an arc on the circumference of a circle, Fundamenta Mathematicae, 46 (2) : 187–189, (1959).

PIC

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