111. Soit f une fonction continue de R dans C. Pour t ∈ R, soit ft la fonction définie par x ∈ R , ft (x) = f(x - t). Si ε > 0 et T ∈ R, on dit que T est une ε-presque période de f si f - fT ε. On dit que f est presque périodique si, pour tout ε > 0, il existe R > 0 tel que tout segment de longueur R de R contienne une ε-presque période de f.

a) Donner des exemples de fonctions presque périodiques.

b) Montrer qu’une fonction presque périodique est bornée.

c) Montrer qu’une fonction presque périodique est uniformément continue.

d) On suppose que f est presque périodique.

Montrer que, si (tn)n0 est une suite réelle, il existe une extraction φ telle que, pour tout ε > 0, il existe N tel que (p,q) ∈ N2,p,q N ⇒∥ftφ(p) - ftφ(q) ε. Qu’en déduit-on ?

e) La réciproque de la question précédente est-elle exacte ?

a) Toute fonction périodique est évidemment presque périodique.

b) On prend ε = 1. Il existe R > 0 tel que tout segment de longueur R contienne une ε-presque période de f. Soit t ∈ R. Le segment [t,t + R] contient une ε-presque période T de f. On a alors |f(t) - f(t - T)|1, et comme |t - T|R, il vient

|f(t)| ≤ 1 +|f(t- T)| ≤ 1+ max    |f|.
                            [-R,R ]
Ainsi f est bornée sur R.

c) Soit ε > 0 et R > 0 tel que tout segment de longueur R contienne une ε-presque période de f. La fonction f est uniformément continue sur le segment [-R - 1,R + 1], il existe donc un δ > 0 tel que : x,y ∈ [-R - 1,R + 1], |x - y|δ=⇒|f(x) - f(y)|ε. Soit alors x, y ∈ R tels que |x - y| min(δ,1). Le segment [x,x + R] contient une ε-presque période T de f. On a alors |f(x) - f(x - T)|ε et |f(y) - f(y - T)|ε, d’où

|f(x)- f(y)| ≤ 2ε + |f(x- T )- f(y- T)|.
Or |x - T| R et |y - T||y - x| + |x - T|1 + R, donc par continuité uniforme sur [-R - 1, R + 1], il vient |f(x - T) - f(y - T)|ε puis |f(x) - f(y)|3ε. On a ainsi prouvé que f est uniformément continue sur R.

d) Soit (tn ) une suite de réels. Soit ε > 0 et R > 0 tel que tout segment de longueur R contienne une ε-presque période de f. Pour tout t ∈ R, il existe u ∈ [-R,R] tel que ∥ft - fu∥ε (poser u = t - T avec T une ε-presque période de f dans l’intervalle [t,t + R], comme dans les questions précédentes). Il existe donc une suite réelle (un) à valeurs dans [-R,R] telle que ∥ftn-fun∥ ε pour tout n ∈ N. Par continuité uniforme de f, il existe δ > 0 tel que : |t - s|δ=⇒∥ft - fs∥ ε. La suite (un) possède une valeur d’adhérence dans le segment [-R,R], ce qui permet d’en extraire une sous-suite (uφ(n)) vérifiant : p, q ∈ N, |uφ(p) - uφ(q)|δ, ce qui entraîne : ∥            ∥
∥fuφ(p) - fuφ(q)∥ε, puis ∥∥
∥ftϕ(n)-ftφ(q)∥3ε.

Pour conclure, il n’y a plus qu’à utiliser un argument d’extraction diagonale : on prend ε = 1, puis ε = 12, , ε = 12k, et on construit des extractions successives (imbriquées) φ0 ⋅⋅⋅φk comme ci-dessus ; l’extraction diagonale ψ : k↦→φ0 ⋅⋅⋅φk(k) répond alors à la question :

∀ε>0,∃N ∈ N, ∀(p,q) ∈ N2, p,q ≥ N =⇒ ∥∥f   - f   ∥∥   ≤ ε.
                                 tψ(p)   tψ(q) ∞
(1)

Interprétation. Notons C0b l’espace vectoriel normé des fonctions continues et bornées de R dans C, muni de ∥⋅∥ . On vient de montrer que toute suite (ftn) de translatées de f admet une sous-suite (ftψ(n) ) qui est de Cauchy, et par conséquent admet une sous-suite convergente dans C0b. Ce dernier point peut se prouver à la main comme suit : pour ε = 2-k, il existe un rang Nk à partir duquel on a :

            ∥           ∥     -k
∀p,q ≥ Nk,  ∥ftψ(p) - ftψ(q)∥∞ ≤ 2 ;
soit θ une extraction telle que θ(k) Nk pour tout k, alors on a
∥               ∥
∥ftψ•θ(k) - ftψ•θ(k+1)∥∞ ≤ 2-k,
on en déduit que la série de fonctions ∑(               )
 ftψ•θ(k) - ftψ•θ(k+1) est normalement convergente sur R, et par conséquent la suite (ftψθ(k)) converge uniformément sur R.

Il en résulte que l’ensemble A = {ftt ∈ R} est d’adhérence compacte dans C0
b. En effet, si (gn) est une suite d’éléments de son adhérence A, on peut trouver une suite (ftn) telle que ∥gn-ftn∥2-n pour tout n, puis extraire de (ftn) une sous-suite convergente (ftϕ(n) ), de limite h ∈ C0
b, et conclure que la suite (gϕ(n)) converge vers h. Ainsi A est compact.

e) La réciproque de la propriété de la question d) est vraie. Soit f une fonction continue sur R. On suppose que, pour toute suite (tn) ∈ RN, il existe une extraction ψ vérifiant la propriété (). Montrons par l’absurde que f est presque périodique. Si elle ne l’était pas, il existerait un ε > 0 tel que, pour tout R > 0, il existe un segment [a,a + R] de longueur R ne contenant aucune ε-presque période de f : T ∈ [a,a + R], ∥f - fT∥ > ε.

Construisons par récurrence une suite de réels (tn) telle que, pour tous p,q distincts, on ait ∥∥ft-ft∥∥
pq > ε (ce qui constituera une contradiction). On pose t0 = 0. Soit n ∈ N*, supposons t0 , ..., tn-1 déjà construits. Prenons R = max(|t0|,...,|tn-1|) et a ∈ R tel que le segment [a - R, a + R] ne contienne aucune ε-presque période de f. On pose tn = a. Pour tout k < n, on a tn - tk ∈ [a - R,a + R], donc ∥ft - ft ∥
   n    k = ∥ft -t - f∥
   n  k > ε.

La suite (tn ) ainsi définie contredit l’hypothèse (), ce qui conclut le raisonnement.

Commentaires. La propriété (1) caractérise les fonctions presque périodiques (parmi les fonctions continues). Elle permet de montrer facilement que si f et g sont presque périodiques, alors f + g l’est aussi (alors qu’une preuve directe est très laborieuse) : soit (tn) ∈ RN, on peut extraire une sous-suite telle que (ftϕ(n)) soit une suite de Cauchy, puis on extrait de (gtϕ(n)) une sous-suite de Cauchy (gtϕψ(n)), alors la suite de terme général (f + g)tϕψ(n) est de Cauchy, donc f + g vérifie la propriété (1), elle est par conséquent presque périodique.
Il en résulte que l’ensemble des fonctions continues presque périodiques est un sous-espace vectoriel de C0
b.
Exemple : la fonction t↦→cost + cos(t√ -
  2) est presque périodique, mais pas périodique (en effet elle ne prend la valeur 2 qu’en t = 0).
Les résultats de cet exercice forment le début de la théorie des fonctions presque périodiques au sens de Bohr (il s’agit de Harald Bohr, frère du célèbre physicien Niels Bohr). La caractérisation par la propriété (1) est due à Bochner.
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