90. Soient E et F deux espaces vectoriels normés sur R. Soit f : E F telle que f(0) = 0 et que, pour tout (x,y) ∈ E2, f(x) - f(y)= x - y.

a) On suppose que E = F = R. Montrer que f est linéaire.

b) On suppose que E = F et que la norme est euclidienne. Montrer que f est linéaire.

c) On suppose que f est surjective. Montrer que f est linéaire.

d) Donner un exemple dans lequel f n’est pas linéaire.

Solution de Ivan Gozard

Notons qu’une fonction vérifiant l’hypothèse est lipschitzienne, donc continue, et en outre injective.

a) Dans le cas où E = F = R, f est strictement monotone Quitte à changer f en - f, on peut la supposer strictement croissante et alors, si x > y, f(x) - f(y) = x - y. Donc x↦→ f(x) - x est constante, et cette constante vaut 0 puisque f(0) = 0. Finalement, f = ± Id R .

b) Notons que f(x)= xpour tout x. Par élévation au carré, pour tout (x,y) ∈ E2,

⟨f(x),f(y)⟩ = ⟨x,y⟩.

Il en résulte que, si a et b sont dans R, pour tout (x,y,z) ∈ E3,

⟨f(ax+by),f(z)⟩ =   ⟨ax + by,z⟩ = a⟨x,z⟩+ b⟨y,z⟩
       =   a⟨f(x),f(z)⟩ + b⟨f(y),f(z)⟩ = ⟨af(x)+ bf(y),f(z)⟩
et donc que f(ax + by) - af(x) - bf(y) est orthogonal à f(E), donc à -→f(E). Comme f(ax + by) - af(x) - bf(y) appartient à -→
 f(E), f(ax + by) - af(x) - bf(y) = 0 et f est linéaire. c) On note G(E,F) l’ensemble des isométries bijectives de E sur F . Si g ∈ G(E,F), alors g-1 ∈ G(F, E) et, si h ∈ G(F,F), g-1hg ∈ G(E,E). Nous allons montrer que, si g ∈ G(E,F), g conserve le milieu.

Fixons donc (x, y) ∈ E2. Posons r := x+y
  2 et, pour h appartenant à G(E,F) ou G(E,E),

        ∥               ∥
Δ (h) := ∥∥h(r) - h(x)+-h(y)∥∥.
                   2

On a évidemment

      1               1              1
Δ(h) ≤ 2 ∥h(r)- h(x)∥+ 2∥h(r) - h(y)∥ = 2∥x- y∥.

Fixons g ∈ G(E, F). Posons ω := g(x)+2g(y) et notons s ∈ G(F,F) la symétrie centrale par rapport à ω. Elle intervertit g(x) et g(y). Nous allons comparer Δ(g-1sg) à Δ(g). On a

   -1     ∥∥  -1        (g--1sg)(x)+-(g-1sg)(y)∥∥
Δ(g  sg) = ∥(g sg)(r) -          2          ∥.

On a (g-1 sg)(x) = g-1(g(y)) = y et de même (g-1sg)(y) = x. En outre, pour tout t, t + s(t) = 2ω, donc s(t) = 2ω - t = g(x) + g(y) - t et donc s(g(r)) = g(x) + g(y) - g(r). Finalement,

  ∥   (               )    ∥
Δ(g-1sg)= ∥g- 1g(x)+ g(y)- g(r) - r∥
= ∥∥g- 1(g(x)+ g(y)- g(r)) - g-1(g(r))∥∥= ∥g(x)+ g(y)- 2g(r)∥
  ∥                               ∥
puisque g-1 est une isométrie. Donc
Δ (g- 1sg) = 2Δ(g).

Posons h := g-1 sg ∈ G(E,E). En appliquant ce qui précède à E = F , on obtient, en notant σ la symétrie centrale par rapport à h(x)+2h(y)-, que

Δ (h-1σh)) = 2Δ (h).

Puisque Δ(G(E,E)) est borné, il est réduit à 0. Donc Δ(h) = 0 et Δ(g) = 0 par conséquent. Ainsi, g conserve le milieu.

En prenant y = 0, on obtient que g(x) = 2g(x)
 2. Puis

  2x + 2y   g(2x)+ g(2y)
g(---2---) =-----2------= g(x)+ g(y).
Donc g est additive. L’application t↦→g(tx), de R vers E, est additive et continue, et il est bien connu que ceci entraîne sa linéairité. Donc g(λx) = λg(x) et g est bien linéaire.

d) On munit R 2 de la norme définie par (x,y) := max(|x|,|y|). Considérons la fonction t↦→ (t, sin t), de R vers R2. On a

∥f (t)- f(u)∥∞ = max (|t- u|,|sint- sin u|)
et, comme sin est 1-lipschitzienne, f(t) - f(u) = |t - u|. Cependant, f n’est clairement pas linéaire.

Le résultat établi dans la question c est connu sous le nom de théorème de Mazur-Ulam. Il a déjà fait l’objet d’un exercice dans notre revue : ex. 49, pp. 62-64, vol. 121, n4, juin 2011.


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