80. a) Montrer que l’on ne peut partitionner R2 en cercles de rayons strictement positifs.

b) Peut-on partitionner R2 en disques ouverts de rayons strictement positifs ?

c) On appelle triade toute partie de R2 homéomorphe à la réunion des trois segments reliant le point (0, 0) aux points (0,1), (1,0) et (1,1). Montrer que l’on ne peut partitionner R2 en triades.

a) Supposons qu’il existe une telle partition. Soit C0 = C(A0,R0) (où C(A,R) désigne le cercle de centre A et de rayon R > 0) l’un de ces cercles puis, par récurrence, Cn+1 = C(An+1,Rn+1) le cercle de la partition passant par An. On a clairement Rn+1 < 1
2Rn et, puisque les points Ak pour k n sont dans l’intérieur du cercle Cn,

∀p,q ≥ n, ∥A - A ∥ ≤ 2R .
           p    q      n

Ainsi, la suite (An)n est de Cauchy et par conséquent convergente. Soit A sa limite et R > 0 le rayon du cercle C passant par A. À nouveau parce que la suite (Ak)kn est contenue dans l’intérieur de Cn , A appartient à chaque disque fermé délimité par Cn, lequel contient donc C. Il vient R Rn pour tout n, donc R = 0, ce qui est absurde.

b) La réponse est négative. Soit en effet (Ui)i∈I une partition de R2 en parties ouvertes (et non vides par définition même d’une partition). Étant donné i0 ∈ I, Ui0 et i∈I\{i0}Ui forment une partition de R 2 en deux ouverts. Par connexité par arcs de R2, Ui0 = R2 et I \{i0} = . La seule partition de R 2 en ouverts est donc {R2}.

c) On va dans un premier temps montrer qu’il n’existe pas de partition au plus dénombrable de R2 en triades, puis établir un lemme technique pour, finalement, montrer qu’une famille de triades deux à deux disjointes est au plus dénombrable.

Nous utiliserons deux théorèmes hors programme dont nous rappelons l’énoncé sans démonstration. Le théorème de Baire, assez facile à démontrer, et le théorème de Jordan qui est nettement plus difficile mais dont l’énoncé est très intuitif :

Théorème 1 (Baire). Dans un espace complet, une réunion de fermés d’intérieurs vides est d’intérieur vide.

Théorème 2 (Jordan). Soit γ l’image d’une courbe continue simple et fermée de R2. L’ensemble R 2 \ γ possède exactement deux composantes connexes par arcs, une qui est bornée et l’autre non.

Première étape

Commençons par établir le

Lemme 1.L’image d’une application continue injective de [0,1] dans R2 est d’intérieur vide.

Preuve. Soit f : [0,1] R2 continue et injective. Par compacité de [0,1], f induit un homéomorphisme de [0,1] dans f([0,1]). Si f([0,1]) contient une boule ouverte B, alors J = f-1 (B) est une partie ouverte et connexe par arcs de [0,1], donc un intervalle non trivial. Soit t0 un élément intérieur à J. L’application f induit un homéomorphisme de J \{t0} sur B \ {f(t0 )}. C’est absurde car B \{f(t0)} est connexe par arcs tandis que J \{t0} ne l’est pas.

On déduit immédiatement de ce lemme qu’une triade est d’intérieur vide.

Soit alors (Ti )i∈I une famille au plus dénombrable de triades. Comme Ti est compact (puisqu’homéomorphe à une réunion de trois segments), c’est un fermé d’intérieur vide de R2 et, d’après le théorème de Baire, i∈ITi est d’intérieur vide. Ainsi il n’existe pas de partition de R2 en une famille au plus dénombrable de triades.

Seconde étape

On montre ici un lemme technique qui sera mis en oeuvre dans la troisième étape. Soit C le cercle unité de R 2 et U, V deux triplets de C. On dira qu’ils sont non entrelacés, si chacun est contenu dans l’un des arcs ouverts de C délimités par l’autre. Et, étant donnée (Ui)∈I une famille de triplets de C, on dira qu’elle est globalement non entrelacée si pour chaque i ∈ I, l’un des trois arcs de C délimités par Ui contient tous les Uj pour j = i. Nous dirons enfin qu’une suite (Uk)k∈N de triplets de C est emboîtée si pour chaque k ∈ N, l’un des arcs délimités par Uk contient tous les Ul pour l > k.

PIC

Avec ces définitions, nous avons le

Lemme 2.De toute famille infinie de triplets deux à deux non entrelacés de C on peut extraire soit une suite emboîtée, soit une suite globalement non entrelacée.

Preuve. Soit (Ui )i∈I une famille infinie de triplets de C. Supposons qu’on ne puisse en extraire une suite emboîtée et montrons qu’il existe une suite (ik)k∈N* ∈ IN* telle que (Uik)k soit globalement non entrelacée.

Fixons i1 ∈ I. Chacun des Ui, i = i1, est contenu dans l’un des trois arcs ouverts de C délimités par Ui1 . L’un d’entre eux contient une infinité des Ui, disons tous les Ui pour i ∈ I1I1 est une partie infinie de I. Notons A1 son complémentaire (donc l’adhérence de la réunion des deux autres arcs).

Supposons maintenant choisis i1,,ip ∈ I deux à deux distincts et une partie infinie Ip I \ {i1 , , ip} tels que :

  • Les triplets Ui1, Ui2,, Uip sont globalement non entrelacés : on notera Ak la réunion de deux des arcs fermés de C définis par Uik dont le complémentaire contient tous les Uil , l ∈ [[1,p]] \{k}.
  • Chaque triplet Uj pour j ∈ Ip est contenu dans C \ 1kpAk.

et démontrons qu’il est loisible de choisir ip+1 et Ip+1 en conservant ces propriétés. Choisissons j0 ∈ Ip . Par hypothèse, Uj0 est contenu dans l’un des p arcs ouverts qui composent C \ 1kpAk ; désignons par D0 la réunion des deux arcs délimités par Uj0 et contenus dans cet arc.

PIC

S’il existe une infinité de j ∈ Ip tels que Uj soit contenu dans C \(⋃             )
   1≤k≤p Ak ∪D0, on peut poser ip+1 = j0 et choisir Ip+1 en conséquence. Sinon, l’un des deux arcs de D0 délimités par Uj0 contient une infinité des Uj, j ∈ Ip. Soit Uj1 l’un d’entre eux et D1 la réunion des deux arcs délimités par Uj1 et contenus dans D0.

Comme pour j0 , s’il existe une infinité de j ∈ Ip tels que Uj soit contenu dans
C \ (    )
⋃A∪D
1≤k≤pk   1, on peut poser ip+1 = j1 et choisir Ip+1 en conséquence.

Sinon l’un des deux arcs de D1 délimités par Uj1 contient une infinité des Uj, j ∈ Ip, etc. Si à aucun moment on ne peut choisir ip+1 = jk, on obtient une suite emboîtée (Ujk). Comme une telle suite n’existe pas par hypothèse, on peut choisir ip+1 et Ip+1 de manière convenable.

Troisième étape

On va établir qu’une famille de triades deux à deux disjointes est au plus dénombrable.

Pour une triade T, on appellera centre de T l’image du point (0,0) et extrémités de T les images des points (0,1), (1,0) et (1,1) (par un homéomorphisme dont fait état la définition d’une triade – on peut vérifier que ces définitions sont indépendantes du choix de l’homéomorphisme mais on peut s’en passer ici en appelant triade la donnée d’un tel homéomorphisme plutôt que sa seule image). Les images des trois segments seront appelés les brins de T.

Lemme 3.S’il existe une famille infinie non dénombrable (Tʹj)j∈J de triades deux à deux disjointes, alors il existe une famille infinie (Ti)i∈I de triades deux à deux disjointes contenues dans le disque unité fermé, dont l’intersection de chaque triade avec le cercle unité C soit exactement l’ensemble de ses trois extrémités, ainsi qu’un réel α > 0 tel que chaque arc de C délimité par deux des extrémités d’une triade soit de longueur supérieure à α.

Preuve. On appellera module d’une triade T , et on notera m(T), le minimum des distances du centre aux extrémités.

Soit une famille non dénombrable (Tʹj)j∈J de triades deux à deux disjointes. Comme J = n∈N*{j ∈ J;m(Tj) 1⁄n} n’est pas dénombrable, il existe K J non dénombrable et η > 0 tel que m(Tk) η pour tout k ∈ K. Quitte à faire une homothétie de rapport 3η, on peut supposer m(Tk ) 3. Il existe ensuite L K non dénombrable tel que les centres des (Tl)l∈L appartiennent à un disque ouvert de rayon 1 (car R2 peut s’écrire comme réunion dénombrable de disques ouverts de rayon 1). Quitte à effectuer une translation, on peut supposer qu’il s’agit du disque unité centré en 0. Puisque m(Tl) 3, les extrémités de chaque Tl sont à l’extérieur du disque unité. On peut alors ne conserver de chaque brin de Tl que sa partie joignant le centre au premier point de rencontre avec C ; on notera encore Tl la triade obtenue après cette amputation  :

PIC

Enfin, en notant L(Tl) le minimum des longueurs des trois arcs de C délimités par les extrémités de Tl , il existe α > 0 et I L infini tel que L(Ti) α pour tout i ∈ I (car sinon, L = n∈N*{l ∈ J;L(Tl) 1⁄n} serait dénombrable) : la famille (Ti)i∈I satisfait aux conditions du lemme 3.

Supposons donc l’existence d’une famille (Ti)i∈I de triades telle que décrite par le lemme 3. Par le théorème de Jordan, les trois brins de Ti ainsi que C délimitent trois parties connexes par arcs du disque défini par C et toute autre triade de la famille est contenue dans l’une de ces parties. En conséquence, si l’on note Ui le triplet de C formé par les extrémités de Ti, ces triplets sont deux à deux non entrelacés. D’après le lemme 2, on peut en extraire soit une suite emboîtée, soit une suite globalement non entrelacée. Dans les deux cas c’est absurde puisque les longueurs des arcs définis par les Ui sont toutes minorées par α.


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