60. Soient A et B deux matrices de M2(R) telles que detA > 1, detB > 1 et AB = BA. On s’intéresse aux suites (vk)k∈N de vecteurs de R2 telles que v00 et, pour tout k ∈ N, vk+1 = Avk ou vk+1 = Bvk. Montrer qu’il existe v0 tel que toute suite ainsi définie de premier terme v0 soit non bornée. Le résultat subsiste-t-il si l’on omet l’hypothèse AB = BA ?

Nous dirons qu’une suite (vn)n∈N de vecteurs de R2 est adaptée à (A,B) lorsque vn+1 ∈{Avn,Bvn} pour tout n ∈ N . Nous distinguons deux cas :

Cas 1 : A et B ont chacune une valeur propre double, respectivement notées λ et μ.
On a donc λ2 = detA > 1 et μ2 = detB > 1, donc |λ| > 1 et |μ| > 1. Supposons d’abord que Ker (A - λI2) soit de dimension 1, et prenons-en un vecteur x non nul. Comme A et B commutent, Ker(A - λI2) est stable par B, d’où Bx = μx. Posons α := min (|λ|, |μ|) > 1. On obtient alors que toute suite v adaptée à (A,B) et telle que v0 = x a ses termes dans V ect(x) et vérifie vnαnxpour tout n ∈ N. Aucune de ces suites n’est donc bornée. Le cas où B est non-scalaire se traite de manière similaire. Si enfin A et B sont toutes deux scalaires, il suffit évidemment de partir d’un vecteur non nul v0 arbitraire.

Cas 2 : l’une des matrices A et B a deux valeurs propres complexes distinctes. Par symétrie de la situation, on peut supposer qu’il s’agit de A. Diagonalisons A = PDP-1D est diagonale à valeurs diagonales distinctes. Alors B = PDʹP-1. De la commutation de A et B, on déduit facilement celle de D et Dʹ, il vient que Dʹ est diagonale en utilisant le fait que les coefficients diagonaux de D sont différents.

Les sous-espaces propres de A dans R2 sont de dimension 1, et il y en a au plus deux. On peut donc choisir x ∈ R 2 \ {0} qui ne soit pas vecteur propre pour A.

Considérons une suite (vn)n∈N adaptée à (A,B) telle que v0 = x. Notons an,bn les coefficients de P-1 vn . Soit n ∈ N. Ou bien (an+1,bn+1) = (λan,μbn), ou bien (an+1,bn+1) = (λʹanʹbn), où λ, μ (respectivement, λʹʹ) désigne les coefficients diagonaux de D (respectivement, de Dʹ). Ainsi an+1 bn+1 = (detA)anbn ou an+1bn+1 = (detB)anbn. Dans tous les cas, en notant α := min (det A, detB), on a |anbn|αn|a0b0| pour tout n ∈ N. En outre, comme x n’est pas vecteur propre de A, le vecteur P-1x n’est pas vecteur propre de D, si bien que a0b00. Par suite (an bn )n n’est pas bornée.

Si v était bornée la suite (P-1vn)n∈N serait bornée dans C2 (car y ∈ C2↦→P-1y est linéaire continue), et en prenant une borne M de cette suite au sens de la norme infinie, on aurait l’inégalité |an bn | M2 pour tout n ∈ N. Ainsi, v n’est pas bornée.

Donnons pour finir un contre-exemple dans la situation où A et B ne sont plus censées commuter. Posons A := Diag(2-12,2), B := ρR(2π
N-)ρ > 1 et l’entier N 3 seront ajustés ultérieurement. On rappelle la notation R(θ) := (            )
 cosθ  - sin θ
  sinθ   cosθ lorsque θ désigne un réel.

Clairement det A = √-
 2 > 1 et detB = ρ2 > 1. Notons D l’ensemble des couples (a, b) ∈ R 2 \ {0} tels que a + ib ait un argument dans [  π  π]
 - N, N-. Partons d’un vecteur arbitraire v0 ∈ R 2 \ {0} et construisons (vn)n∈N = (an,bn)n∈N par récurrence comme suit : pour tout n ∈ N , si vn ∈ D on pose vn+1 := Avn, sinon on pose vn+1 := Bvn. Dans le second cas, on a vn+1 2 = ρvn 2 ; dans le premier on a |bn||sin(π⁄N)|vn2 et |an|vn2 donc

         • ---------  • ------------
           1 2    2     1      2 π-
∥vn+1∥2 =   2an +4bn ≤   2 +4 sin (N )∥vn ∥2.
Choisissons maintenant N entier supérieur ou égal à 3 tel que 1
2 + 4sin2(-π
N) < 1 (ce qui est bien sûr possible), posons δ := • ------------
  12 + 4sin2(πN-), puis choisissons ρ > 1 de telle sorte que ρN-1 δ 1. Montrons dans ce cas que la suite v est nécessairement bornée. Notons à cet effet
X = {n ∈ N : v ∈ D}.
            n
Soit n ∈ N \ X. Notons θ l’argument de vn appartenant à [           [
- 2π+ Nπ,- πN-, si bien que θ ∈ [        [
-2kπN-πN,- 2kNπ+  πN- pour un k ∈ [ [1,N - 1]]. Il vient que n + k ∈ X. Par suite, X est non majoré, deux éléments consécutifs de X sont distants d’au plus N, et minX < N.

Soit n ∈ X et m son successeur dans X. Alors vm = Bm-n-1Avn ; les calculs précédents montrent alors que vm2 ρm-n-1δvn2 ρN-1δvn2 vn2 car m-n N. Ainsi, la famille (vn )n∈X est bornée pour ∥-∥2 par M := vminX2.

Soit enfin n ∈ N \X. Si n < minX alors n < N donc vn = Bnv0 et vn2 = ρnv02 ρN-1v02. Sinon, on note p = max{k ∈ X : k < n}, alors n - p < N et vn = Bn-p-1Avp donc vn 2 = ρn-p-1 δvp2 ρN-1δM M. Ainsi, (vn)n est bornée, ce qui achève la démonstration.


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