[Questions-Reponses]
R715. Posé dans RMS 121 3.
Dans l’exercice d’oral corrigé 6 (RMS 113 4), on étudie les morphismes de GLn(K) dans un groupe abélien fini.
On propose des variantes :
a) Quels sont les morphismes de groupes de GLn(C) dans un groupe fini ? dans le groupe multiplicatif d’une extension finie de Q ? dans GLn(Q) ?
b) Quels sont les morphismes de groupes de Q dans GLn(C) ? dans GLn(Q) ? (Omar Sonebi)
Réponse de Philippe Bonnet
On dira qu’un morphisme de groupes φ : G-→Gʹ est trivial si Im(φ) = {eʹ}, où eʹ est l’élément neutre de Gʹ. Dans le premier paragraphe, on montre :
Théorème 1.Tout morphisme de GLn(C) dans un groupe de la forme G× Zr, où G est un groupe fini et r N, est trivial. En particulier, tout morphisme de GLn(C) dans un groupe fini est trivial. De plus, tout morphisme de GLn(C) dans le groupe des inversibles d’une extension finie de Q est trivial.
Dans le deuxième paragraphe, on établit les deux résultats suivants :
Théorème 2.Les morphismes de GLn(C) dans GLn(Q) sont exactement les applications φ : GL n (C )-→ GLn(Q) de la forme :
Théorème 3.Les morphismes de (Q,+) dans GLn(Q) sont exactement les applications φ : Q -→ GL n (Q), zezN, où N est une matrice nilpotente de n(Q).
Enfin, on va terminer avec la classification des morphismes de Q dans GLn(C). Pour ce faire, on aura besoin de décrire les morphismes de (Q,+) dans (C*,×).
En d’autres termes, une suite est admissible si le terme d’ordre n de la suite est une racine n-ième du précédent. On va se servir de ces suites pour construire tous les morphismes de (Q,+) dans (C * , ×). Plus précisément, on montre dans le deuxième paragraphe :
Proposition 1.Soit (xn)n≥1 une suite admissible de (C*)N. Alors, pour tout z Q, la suite ((xk )⌊k!z⌋ )k≥1 est stationnaire. De plus, l’application φ(xn) : Q-→C* définie par :
Partant de là, on démontre dans le deuxième paragraphe le résultat suivant :
Théorème 4.Les morphismes de (Q,+) dans GLn(C) sont exactement les applications de la forme :
Démonstration du premier théorème
Pour cette démonstration, on aura besoin de quelques connaissances d’Algèbre Commutative, que l’on pourra trouver soit dans le cours d’Algèbre de Perrin, soit dans l’Algèbre Commutative de Malliavin. Rappelons qu’un groupe G (noté multiplicativement) est divisible si, pour tout m N* et pour tout x G, l’équation ym = x admet toujours au moins une solution dans G. En particulier, les groupes (C * , ×) et (Q,+) sont divisibles, alors que (Z,+) ne l’est pas. Commençons par un lemme :
Lemme 1.Soit φ un morphisme de GLn(C) dans un groupe Gʹ au plus dénombrable. Alors on a SL n (C ) ⊂ Ker(φ). En particulier, si det : GLn(C)-→C* est le morphisme donné par le déterminant, il existe un morphisme ψ : C*-→Gʹ tel que φ = ψ • det.
Démonstration.Soit φ un morphisme de GLn(C) dans un groupe Gʹ au plus dénombrable. Pour tout t R , on pose :
On commence par en montrer la première assertion. Soit φ un morphisme de GLn(C) dans un groupe de la forme Gʹ = G× Zr, où G est un groupe fini et r N. D’après le lemme , il existe un morphisme ψ : C *-→Gʹ tel que φ = ψ • det. Dès lors, pour montrer que φ est trivial, il suffit de montrer que tout morphisme ψ de C* dans le groupe Gʹ est trivial. Pour ce faire, considérons un élément x de Im (ψ), de la forme x = (g,n1,…,nr) G× Zr. Alors il existe un élément y de C* tel que x = ψ(y). Comme (C*,×) est divisible, il existe pour tout m N* un élément ym de C* tel que y = y. Si l’on pose ψ(ym) = (hm,αm,1,…,αm,r) G × Zr, alors on a pour tout m N * :
Montrons à présent la deuxième assertion du théorème . Soit L⁄Q une extension finie et
soit φ un morphisme de GLn(C) dans le groupe L* des inversibles de L⁄Q. Comme
l’extension L⁄Q est finie, L est un Q-espace vectoriel de dimension finie. En particulier,
comme Q est dénombrable, l’ensemble L est dénombrable, et donc L* l’est aussi. D’après
le lemme , il existe un morphisme ψ : C*-→L* tel que φ = ψ • det. Dès lors, pour
montrer que φ est trivial, il suffit de montrer que tout morphisme ψ de C* dans L* l’est.
Pour ce faire, fixons un morphisme ψ de C* dans L* et un élément x de Im(ψ). Soit A l’anneau des entiers sur L, c’est-à-dire l’ensemble des éléments xʹ de L qui vérifient une équation de la forme (xʹ)n + an-1(xʹ)n-1 + + a0 = 0, où n N* et an-1,…,a0 Z. Alors on sait par des résultats classiques d’Algèbre Commutative que A est un anneau de Dedekind. En particulier, l’anneau localisé AP est un anneau de valuation discrète pour tout idéal maximal P de A. Pour tout idéal maximal P de A, notons vp la valuation associée sur L. Comme x appartient à Im(ψ), il existe un élément y de C* tel que x = ψ(y). Comme (C*,×) est divisible, il existe pour tout m N * un élément ym de C* tel que y = y. En termes de valuations, ceci nous donne que :
Démonstration des autres théorèmes
Passons maintenant aux morphismes de GLn(C) dans GLn(Q), de (Q,+) dans GLn(Q) et de (Q , +) dans GL n(C). Pour ce faire, on commence par établir quelques lemmes :
Lemme 2.Les morphismes de (C*,×) dans (Q,+) sont exactement les applications φ de C*dans Q de la forme :
Démonstration.Commençons par montrer que toute application φ de la forme donnée plus
haut est un morphisme bien défini de C* dans Q. Pour ce faire, fixons des formes linéaires
α, β sur le Q -espace vectoriel R, telles que β soit nulle sur le Q-sous-espace vectoriel Q de
R. Comme le module est un morphisme de (C*,×) dans (R,×), que la fonction ln est un
morphisme de (R ,×) dans (R,+) et que α est un morphisme de (R,+) dans (Q,+) (vu
que c’est une forme Q-linéaire), on obtient par composition que l’application zα(ln|z|)
est un morphisme de (C*,×) dans (Q,+). De plus, d’après les propriétés de l’argument
d’un nombre complexe non nul, on voit que l’application z arg(z) est un morphisme
bien défini de (C *,×) dans (R⁄Z,+). Mais comme β est une forme linéaire sur le Q-espace
vectoriel R qui s’annule sur Q, β est un morphisme de (R,+) dans (Q,+) qui s’annule sur
Z, et donc on trouve par composition que l’application zβ( arg(z)) est un morphisme
bien défini de (C *,×) dans (Q,+). Par addition, il s’ensuit que φ est bien un morphisme
bien défini de (C *,×) dans (Q,+).
Réciproquement, montrons que tout morphisme φ de (C*,×) dans (Q,+) doit être de cette forme. Pour tout y R, on note sa classe dans R⁄Z. Avec les propriétés du module, de l’argument et du logarithme, on vérifie facilement que l’application :
Lemme 3.Soient l1,…lr des morphismes de (C*,×) dans (Q,+) et soient N1,…,Nr des matrices nilpotentes de n(Q) qui commutent deux à deux. Alors l’application :
Démonstration.Soient l1,…lr des morphismes de (C*,×) dans (Q,+), soient N1,…,Nr des matrices nilpotentes de n(Q) qui commutent deux à deux et considérons l’application ψ1 de C * dans n (C) donnée par :
Lemme 4.Soit ψ un morphisme de (C*,×) dans GLn(Q). Alors ψ(z) est une matrice unipotente de GLn(Q) pour tout z C*, c’est-à-dire : Sp(ψ(z)) = {1}.
Démonstration.Fixons un morphisme ψ de C* dans GLn(Q) ; notons Q la clôture algébrique de Q et posons G = Im(ψ). Comme (C*,×) est commutatif, le groupe G est un sous-groupe commutatif de GLn(Q), et donc aussi de GLn(Q). Comme Q est algébriquement clos, tous les éléments de G sont cotrigonalisables dans une même base de Qn. Dès lors, il existe une matrice P = (pi,j) GLn(Q) telle que toutes les matrices de la forme P-1 AP, où A appartient à G, sont triangulaires supérieures. Posons alors :
D’après les lemmes et , on voit que, si N1,…,Nr sont des matrices nilpotentes de n(Q) qui commutent deux à deux et si α1,…,αr,β1,…,βr sont des formes linéaires sur le Q-espace vectoriel R , telles que β1,…,βr sont nulles sur le Q-sous-espace vectoriel Q de R, alors l’application :
Reste donc à montrer que tout morphisme φ de GLn(C) dans GLn(Q) doit être de cette forme. Pour ce faire, fixons un morphisme φ de GLn(C) dans GLn(Q). Comme GLn(Q) est un sous-ensemble de n(Q), qui est un espace vectoriel de dimension finie sur Q, GLn(Q) est au plus dénombrable. D’après le lemme , il existe un morphisme ψ : C*-→GLn(Q) tel que φ = ψ • det . Dès lors, pour montrer que φ est de la forme annoncée dans le théorème , il suffit au vu du lemme de vérifier que tout morphisme ψ de (C*,×) dans GLn(Q) est de la forme :
Pour ce faire, considérons un morphisme ψ de (C*,×) dans GLn(Q), et posons Mz = ψ(z) -In pour tout z C * . Comme ψ(z) est unipotente pour tout z C* d’après le lemme , la matrice Mz appartient à n (Q) et est nilpotente pour tout z C*. Dès lors, comme l’exponentielle est un homéomorphisme de l’ensemble des matrices nilpotentes de n(C) dans l’ensemble des matrices unipotentes de GLn(C), il existe pour tout z C* une unique matrice nilpotente de n(C), notée N(z), telle que eN(z) = ψ(z). noter que, comme la bijection réciproque est donnée par le logarithme (lequel est bien défini car les matrices en question sont nilpotentes d’indice ≤ n), on a la relation :
Commençons par montrer que tout morphisme φ de Q dans GLn(Q) doit être de la forme annoncée dans le théorème . Comme (Q,+) est divisible, on obtient en reproduisant mot pour mot la démonstration du théorème que tout morphisme de (Q,+) dans le groupe des inversibles d’une extension finie L⁄Q est forcément trivial. Partant de là, on vérifie comme dans la démonstration du théorème qu’il existe une famille de morphismes l1,…,lr de (Q,+) dans (Q,+) et une famille de matrices nilpotentes N1,…,Nr de n(Q) qui commutent deux à deux telles que :
Démonstration de la proposition
Considérons une suite (xn)n≥1 admissible de (C*)N. Il s’agit tout d’abord de montrer que la suite ((xk )⌊k!z⌋ )k≥1 est stationnaire pour tout z Q. Pour ce faire, fixons un nombre rationnel z, que l’on écrit sous la forme z = , où p Z et q N*. Alors, pour tout entier k ≥ q, on voit que k!z est un entier, et donc ⌊k!z⌋ = k!z et ⌊(k + 1)!z⌋ = (k + 1)!z = (k + 1)k!z. En particulier, on a pour tout k ≥ q :
Montrons maintenant que cette application est un morphisme de (Q,+) dans (C*,×). Pour ce faire, considérons deux nombres rationnels z,zʹ, que l’on écrit sous la forme z = et zʹ = , où p, pʹ Z et q, qʹ N*. Alors, pour tout entier k ≥ q + qʹ, on constate que k!z,k!zʹ,k!(z -zʹ) sont des entiers, et donc :
Enfin, montrons que tout morphisme de (Q,+) dans (C*,×) est de la forme φ(xn), où (xn)n≥1 est une suite admissible de (C*)N. Pour ce faire, considérons un morphisme φ de (Q,+) dans (C*,×), et posons pour tout n N* :
l’aide des propriétés des matrices diagonales par blocs, il est facile de vérifier que toute application de la forme donnée dans le théorème est bien un morphisme de (Q,+) dans GLn(C). Reste à établir la réciproque. Pour ce faire, considérons un morphisme φ de (Q,+) dans GLn(C ). Comme (Q,+) est abélien, le groupe Im(φ) est un sous-groupe commutatif de GLn(C ). En particulier, tous ses éléments sont cotrigonalisables. Dès lors, il est facile de vérifier par récurrence sur n qu’il existe une matrice P GLn(C) et des entiers n1 , … , nr > 0 (avec n = n1 + + nr) tels que, pour tout z Q, la matrice φ(z) est de la forme :
La question a été résolue par l’auteur.
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