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Quel est le maximum de la dimension d’un sous-espace vectoriel de M(n, R) dont tout élément non nul est inversible ?1

par Richard Antetomaso et Alain Tissier

Comité de rédaction de la RMS

Résumé. tant donné un espace vectoriel euclidien E, on établit une relation entre les sous-espaces vectoriels de L(E) dont tout élément non nul est inversible et les ensembles de champs continus de vecteurs sur la sphère unité de E. Un théorème dû à J. F. Adams, admis ici, donne une limitation sur le nombre de champs continus linéairement indépendants. Une construction de certains tels sous-espaces vectoriels, due à J.Radon et A.Hurwitz, sera développée ici ; elle permet de conclure.

Abstract. Maximal dimension of a subspace of M(n,R) whose every element is invertible.

If E is an euclidian vector space, one establishes a relation between the subspaces of L(E) whose every element is invertible and the sets of continuous vector fields on the unit sphere of E. A theorem due to J. F. Adams, which is admitted here, gives a limitation on the number of such fields which are linearly independants. A construction of some such subspaces, due to J.Radon et A.Hurwitz, will be given here ; it will give the conclusion.

Mots-clés : champs de vecteurs sur la sphère ; théorème d’Adams ; nombres de Radon-Hurwitz ; produit de Kronecker.

La question 499 de la RMS, posée dans la RMS 114 2, était formulée ainsi :

Soit E un espace vectoriel réel de dimension n. Pour n = 4, caractériser les sous-espaces vectoriels V de L(E) tels que V\{0}⊂ GL(E) et dimV = 4.

Pour n quelconque, trouver la dimension maximale d’un espace du type V.

Dans cet article, nous répondons à la deuxième question. On supposera E muni d’une structure euclidienne, ce qui ne modifie en rien les résultats demandés.

Pour tout espace euclidien E, notons G(E) l’ensemble constitué par le groupe linéaire GL(E) et l’endomorphisme nul.

Notons γ(n) la plus grande dimension d’un sous-espace vectoriel (en abrégé : s.e.v.) de L(E) inclus dans G(E), n étant la dimension de E.

Le nombre de Radon-Hurwitz est 8r + 2s si n = 24r+sm m est impair et 0 s 3. On le note ρ(n).

On établira : γ(n) = ρ(n).

1.Champs de vecteurs sur la sphère unité et le théorème d’Adams

Dans un espace euclidien E de dimension n, S étant sa sphère unité, un champ de vecteurs sur S est une application continue f qui envoie tout élément v de S sur un vecteur f(v) tangent en v à S.

Les p champs de vecteurs sur S, f1, f2, . . ., fp, sont dits linéairement indépendants si pour tout v de S, les vecteurs f1(v), f2(v), . . ., fp(v) sont linéairement indépendants.

Le théorème d’Adams s’énonce ainsi :

Théorème 1.Il n’existe pas ρ(n) champs de vecteurs linéairement indépendants sur la sphère unité d’un espace euclidien de dimension n (où ρ(n) est le nombre de Radon-Hurwitz).

Dans [1], J.F. Adams prouve ce théorème en réduisant le problème initial à un problème d’homotopie relatif aux espaces projectifs. Nous n’en dirons pas plus sur cette preuve.

2.Relation entre s.e.v. inclus dans G(E) et champs sur S

Soit F un s.e.v. de L(E) inclus dans G(E), de dimension p. On lui associe p- 1 champs de vecteurs linéairement indépendants par la méthode suivante.

Quitte à multiplier les éléments de F par l’inverse de l’un d’eux (cette opération maintient l’inclusion dans G(E) et la dimension), on peut supposer que F contient idE. Considérons, dans F , p - 1 éléments g1,g2,,gp-1 constituant avec idE une base de F . Comme tout élément non nul de F est de noyau nul, pour tout v de S, les vecteurs v,g1(v),,gp-1(v) sont indépendants. Notons fi (v) := gi (v) - (v|gi(v))v pour tout i. Chaque fi est un champ de vecteurs sur S et les fi sont linéairement indépendants au sens précisé plus haut : pour tout v de S les fi(v) sont linéairement indépendants.

Le théorème 1 permet donc d’affirmer γ(n) ρ(n).

3.Le théorème de Radon et Hurwitz

On dit d’un système (f1,f2,,fq) d’éléments de L(E) qu’il est de type (A) lorsque, pour tout i, f2
i = - id E et fi fj + fjfi = 0 pour tous i,j distincts.

Notons W le s.e.v. engendré par un tel système. Un élément de W s’écrit f = ∑p

i=1tifi pour certains réels ti  ; il vérifie : f2 = -( p
∑
i=1t2
i)idE. On en déduit que les fi sont linéairement indépendants. De plus un élément non nul de W n’a aucune valeur propre réelle. Il en résulte que le s.e.v. W R id E , de dimension p + 1 est inclus dans G(E).

Une méthode, due à J.Radon et A.Hurwitz, développée dans le problème [2] et décrite dans la partie suivante, a permis de construire dans tout espace vectoriel réel de dimension n un système de type (A) qui est de taille ρ(n) - 1 ρ(n) est le nombre de Radon-Hurwitz. Ceci achève la preuve de l’égalité entre γ(n) et ρ(n).

4.Construction d’un système de Radon-Hurwitz

Dans le problème [2], on utilise la structure euclidienne de Rn et la notion d’endomorphisme adjoint. On traitera la question matriciellement de façon similaire, sans recours aux adjoints.

On note 0(n) la matrice nulle d’ordre n et I(n) la matrice unité d’ordre n. Traduisons matriciellement la définition fondamentale.

Définition 1.Dans M(n,R), (A1,A2,,Ak) est un (A)-système si les relations suivantes sont vérifiées :

A2
i = -I(n) pour tout i ; AiAj + AjAi = 0(n) pour tous i,j distincts.

Puisque de telles matrices n’existent pas si n est impair, on suppose n pair.

On doit construire pour tout n, dans M(n, R), un (A)-système de ρ(n) - 1 matrices.

On utilise le produit de Kronecker. Pour tous A = (ai,j) de M(n, R) et B de M(m, R) on définit par blocs :

A ⊗ B = (ai,jB)1≤i,j≤n

et de même B A. L’application (A,B)↦→AB va de M(n, R) ×M(m, R) dans M(nm, R), est bilinéaire et vérifie

         ʹ    ʹ      ʹ      ʹ
(A ⊗ B)(A ⊗ B ) = (AA ) ⊗ (BB ).

On utilisera beaucoup le lemme 1 dont la preuve est immédiate.

Lemme 1.Soit m et n des entiers strictement positifs. Soit (A1,A2,,Ak) un (A)-système de M(n, R ). Alors les systèmes (A1 I(m),A2 I(m),,Ak I(m)), d’une part, et (I(m)A1,I(m)A2,,I(m)Ak), d’autre part, sont des (A)-systèmes de M(mn,R).

Comme ρ(mn) = ρ(n) si m est impair, le lemme 1 permet de se limiter au cas où n = 2h pour un certain h de N * . La construction se fait par récurrence, la suite des ρ(2h) vérifiant :

ρ(2) = 2 ; ρ(4) = 4 ; ρ(8) = 8 ; ρ(2h+4) = ρ(2h) + 8.

On part des matrices :

    (      )     (      )      (    )
     0  - 1        1  0         0  1
J =  1   0  ;D =   0  - 1 ;E =  1  0  .

Les relations vérifiées par ces matrices sont :

  • J2 = -D2 = -E2 = -I(2) ;
  • JD = -DJ = E ; EJ = -JE = D ; ED = -DE = J.

Dans M(2, R ), (J) est un (A)-système de taille 1 ; la construction est faite pour n = 2 puisque ρ(2) = 2.

On dira que deux systèmes commutent si chaque élément de l’un commute avec chaque élément de l’autre.

Dans M(4, R ), les matrices I(2), J, D, E permettent, avec le produit de Kronecker, de construire deux (A)-systèmes de taille 3 qui commutent entre eux. Ce sont :

(I(2)⊗ J,J ⊗ D,J ⊗ E)et(D ⊗ J,E ⊗ J,J ⊗ I(2)).

Comme ρ(4) = 4, la construction est faite pour n = 4.

La suite fait intervenir des systèmes d’un autre type.

Définition 2.Dans M(n,R), (B1,B2,,Bk) est un (B)-système si les relations suivantes sont vérifiées :

B2i = I(n) pour tout i ; BiBj + BjBi = 0(n) pour tous i,j distincts.

En particulier, dans M(2, R), (D,E) est un (B)-système de taille 2. Deux autres lemmes de preuve immédiate seront utiles.

Lemme 2.Soit dans M(n,R), un (A)-système (A1,A2,,Ak) et un (B)-système (B1,B2) qui commutent. Alors (B1,B2,A1B1B2,,AkB1B2) est un (B)-système de M(n,R).

Lemme 3.Soit dans M(n,R), un (B)-système (B1,B2,,Bk) et un (A)-système (A1,A2) qui commutent. Alors (A1,A2,B1A1A2,,BkA1A2) est un (A)-système de M(n,R).

On construit à présent dans M(8, R) un (A)-système d’ordre 6. On utilise pour cela, dans M(4, R), deux (A)-systèmes (A1,A2) et (A3,A4) qui commutent. Par exemple :

(I(2)⊗ J,J ⊗ D )et(D ⊗ J,E ⊗J ).

Le (A)-système (A1 I(2),A2 I(2)), le (B)-système (I(4) D,I(4) E) et le (A)-système (A3 I(2),A4 I(2)) sont des systèmes de M(8, R) qui commutent deux à deux. On applique le lemme 2 aux deux premiers pour construire un (B)-système (B1,B2,B3,B4) qui commute avec (A3 I(2),A4 I(2)). Avec ces deux systèmes, on applique le lemme 2 pour construire un (A)-système de taille 6.

Dans M(8, R ) nous disposons à présent d’un (A)-système (A1,A2,,A6) d’ordre 6. Posons A7 = A1 A2 A3 A4A5A6. On constate que (A1,A2,,A6,A7) est un (A)-système de taille 7 ; puisque ρ(8) = 8, la construction est faite pour n = 8.

Montrons que dans M(2h, R), l’existence d’un (A)-système de taille k entraîne l’existence dans M(2h+4 , R ) d’un (A)-système de taille k + 8. Ceci achèvera la construction par récurrence, puisque ρ(2h+4 ) = ρ(2h) + 8.

On applique le lemme 2, au système des Ai I(2) et au système (I(2h) D,I(2h) E), pour construire un (B)-système (B1,,Bk+2) de taille k + 2 dans M(2h+1, R). On a vu précédemment que M(8, R ) contient deux (A)-systèmes (A1,A2) et (A3,A4) et un (B)-système (Bk+3,Bk+4) qui commutent deux à deux.

On pose alors Bʹi := Bi I(8) pour i = 1,2,,k + 2, Aʹj := I(2h+1) Aj pour j = 1,2,3,4, Bʹj := I(2h+1 ) Bj pour j = k + 3,k + 4. Dans M(2k+4, R) les quatre systèmes (Bʹ1 , , Bʹk+2 ), (Aʹ1,Aʹ2), (Aʹ3,Aʹ4), (Bʹk+3,Bʹk+4) commutent deux à deux. On utilise successivement les lemmes 3, 2, 3 pour construire un (B)-système de taille k + 6 dans M(2h+4 , R ).

Références

[1]   J.F. Adams, Vector Fields on Spheres, Annals of Mathematics, vol. 75, 1962, p. 603-632

[2]   Problème de l’ENS de Lyon 1991, première épreuve, énoncé : RMS 102-1, corrigé : RMS 102-6.

Ω
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