[Questions-Reponses]
R897. Posée dans RMS 126-3.
Soit X une variable aléatoire à valeurs dans N ayant un moment à tout ordre. La suite (E(Xk))kN détermine-t-elle la loi de X ? (Clément de Seguins Pazzis)
Réponse de Rafik Imekraz et Hervé Queffélec
La réponse est négative. Nous donnons ci-joint deux réponses. On trouvera un éclairage quantitatif de ces résultats dans la rubrique ≪ Articles ≫ de la présente revue à l’aide des théorèmes de Denjoy-Carleman et de Korenbljum (voir le théorème 1, page §).
Les deux solutions que nous donnons ici reposent essentiellement sur le résultat suivant.
1) Réponse à partir de la proposition 1
On note (an )nN comme dans la proposition 1 précédente ainsi que xn = max(an,0) et yn = - min (an , 0). Nous avons donc an = xn - yn et |an| = xn + yn. Remarquons maintenant que la suite (an )nN est à décroissance rapide, c’est-à-dire que pour tout k N on a an = (n-k ). Il s’ensuit que la série nk|an| converge pour tout k N. Il en est de même des deux séries à termes positifs nkxn et nkyn et (1) permet même d’affirmer que leurs sommes sont identiques (disons égales à Sk). D’après l’énoncé de la proposition 1, il existe au moins un entier n0 ≥ 1 tel que an0≠0, c’est-à-dire xn0≠yn0. En particulier, on a S0 > 0 et
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Considérons maintenant les deux variables aléatoires X et Y définies par les formules P(X = n) = et P(Y = n) = pour tout n N. Par construction, les lois de X et Y sont différentes mais l’on a
| (2) |
2) Preuve de la proposition 1 grâce aux séries de Fourier
Considérons la fonction f : [0,π] → R définie par la formule f(x) = exp. Il est bien connu que l’on a
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Cela nous permet de prolonger f en une fonction paire, 2π-périodique et de classe ∞ sur R. On a même f(k) (0) = 0 pour tout k N (notons que cela est trivial si k est impair mais, comme on va le voir immédiatement, seul le cas k pair est pertinent). On peut donc considérer le développement en série de Fourier de f :
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La suite (bn )nN n’est pas identiquement nulle puisque f ne l’est pas ! En outre, la dérivation terme à terme est licite et l’on a
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Il ne reste plus qu’à poser an2 = bn et am = 0 si m N n’est pas un carré. La proposition 1 est prouvée.
3) Un exemple explicite et élémentaire
L’exemple qui suit est tiré de [1, page 93]. Fixons un entier q ≥ 2 et considérons la suite (αk)kN définie par la formule
| (3) |
Pour donner un sens rigoureux à la définition précédente, deux choix sont possibles :
- ou bien on peut voir la formule (3) de façon formelle en identifiant les coefficients des
puissances de z :
- ou bien on peut invoquer des produits infinis issus de la théorie des fonctions holomorphes (voir [2, Théorème 15.6]). Le produit infini des monômes 1 - est une fonction entière P , et donc est développable en série entière centrée en z = 0. Ce second point de vue permet de voir immédiatement les zéros de la fonction P : ce sont exactement les zéros de ses différents facteurs, soit les nombres z = qj, j = 1,2,…
Cela nous donne une version plus précise de la proposition 1.
Démonstration.Évaluer en z = qn+1 dans (3). __
Démonstration.L’équation fonctionnelle (1 - z)P(z) = P(qz) vérifiée par le produit infini s’écrit
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Par identification des coefficients, cela donne pour tout entier k ≥ 1 :
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ou encore αk = -k(qk - 1)-1αk-1. Or nous avons qk - 1 ≥ 2k - 1 ≥ k, donc |αk|≤|αk-1|. En remarquant que (3) implique que α0 = 1, on a bien l’inégalité |αk|≤ 1. __
L’exemple le plus connu d’une variable X non déterminée par ses moments ([3, page 227]) est celui d’une variable log-normale (i.e. l’exponentielle d’une variable normale) ; mais cette variable X n’est pas à valeurs entières positives. On peut remédier à cela en considérant une variable ”log-Poisson” (i.e. exponentielle en base entière q ≥ 2 d’une variable de Poisson Z de paramètre q), définie comme suit : X = qZ, autrement dit
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Nous pouvons maintenant construire une seconde variable aléatoire Y à valeurs entières positives ayant les mêmes moments que X, mais avec une loi différente.
Fixons ε ] - 1, 1[ non nul et définissons Y ainsi
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Comme la suite (αk)kN est à valeurs dans [-1,1], la variable aléatoire Y est bien définie. En outre, comme α0 = 1≠0, les lois de X et Y sont différentes. Et le lemme 1 prouve que X et Y ont les mêmes moments. Il nous donne en effet, pour tout n N :
[1] J. Stoyanov, Counterexamples in Probability, John Wiley and Sons, 1987.
[2] W.Rudin, Analyse Réelle et Complexe, chapitre 19, Troisième édition, Dunod, 1998.
[3] W.Feller, An Introduction to Probability Theory and Its Applications, Volume 2, John Wiley and
Sons, 2003.
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