[Questions-Reponses]

R848. Posé dans RMS 125-1. Cette question est une reprise de Q585 (RMS 117-3).

Une partition (A, B,C) de [0,1] est dite adéquate si (A+B)C = (B +C)A = (C +A)B = . Existe-t-il une partition adéquate constituée de trois ensembles mesurables et non négligeables ? (Johan Yebbou)

Réponse de Charles Madeline Dérou

On va répondre négativement à la question posée.

Dans la suite on note λ la mesure de Lebesgue sur R.

Pour toute partie mesurable A de R et tout x réel, on dit que x est un point de densité de A si λ(A∩[x-h,x+h])
2htend vers 1 quand h tend vers 0+.

Le théorème de densité de Lebesgue (dont on trouvera dans [1] un énoncé un peu plus général et une preuve) s’écrit :

Théorème 1.Pour toute partie mesurable A de R, presque tout point x de A est un point de densité de A.

On prouve ensuite une version modifiée du théorème de Steinhaus :

Proposition 1.Si A et B sont deux parties mesurables de R telles que tout point de A est point de densité de A et tout point de B est point de densité de B, alors A + B est ouvert dans R .

Démonstration.Soient A et B deux telles parties ne comportant que des points de densité, a ∈ A, b ∈ B. Il existe h > 0 tel que

λ(A∩[a-h,a+h])
2h3
4 et λ(B∩[b--h,b+h])-
    2h 3
4.

Notons Aʹ = A [a - h,a + h] et Bʹ = B [b - h,b + h] ; on a λ(Aʹ) 32h et λ(Bʹ) 32h.

Notons V = [a-54h,a + 54h]. Soit ε ∈]- h4, h4[. Soit bʹ∈ Bʹ ; comme |bʹ- b|h, par inégalité triangulaire, il vient : |(a + b + ε-bʹ) -a||b-bʹ| + ε < h + h
4. Ainsi a + b + ε-bʹ est un point de V , et donc (a + b + ε) - Bʹ est incluse dans V .

La partie Aʹ est aussi incluse dans V . Or λ(Aʹ) + λ(a + b + ε-Bʹ) = λ(Aʹ) + λ(Bʹ) 3h, mais λ(V ) = 5
2h < 3h, donc Aʹ et (a + b + ε) - Bʹ ne sont pas disjointes.

Ainsi, pour tout ε ∈]-h
4,h
4[, a + b + ε ∈ Aʹ + Bʹ⊂ A + B ; donc A + B contient un voisinage de a + b dans R . Finalement A + B est bien ouvert. __

tant donné E R mesurable, on dit que E est voisin de 0 lorsque pour tout δ ∈]0,1], λ(E]0, δ]) > 0.

On note que si E est voisin de 0, alors 0 est point d’accumulation de E.

Lemme 1.tant donné (A,B,C), une partition adéquate de [0,1] constituée d’ensembles mesurables et non négligeables, au moins deux des trois ensembles A, B, C sont voisins de 0.

Démonstration.Par l’absurde, supposons avoir une telle partition (A,B,C), où ni B ni C n’est voisin de 0. Il existe alors (δ12) ∈]0,1]2 tel que B]01] et C]02] sont négligeables. En prenant δ := min(δ12), on a λ(A]0]) = δ.

L’application t↦→ λ(A]0,t]) est continue ; on peut donc poser

α := max {t ∈ [δ,1];λ(A∩]0,t]) = t}.

Comme C n’est pas négligeable, α1, donc 0 < α < 1.

Pour t ∈]α, 1], λ(A]0,t]) < t, donc λ(A]α,t]) < (t - α) et (B C)]α,t] n’est pas négligeable. En particulier, α est point d’accumulation de (B C) [α,1]. Par symétrie, on peut supposer que α est un point d’accumulation de B [α,1].

On pose β := max{t ∈ [α,1] : λ(C]0,t]) = 0} (cet ensemble contient α). Comme C n’est pas négligeable, α β < 1. On distingue deux cas :

  •  : λ(]β - α,β]\A) = 0.
    Il existe une suite (bn) de points de B [α,1] telle que (bn) α.
    Or : n, (bn + (]β - α,β] A))C = . Par passage à la limite, on montre facilement : (α+(]β-α,β]A))C = . Mais α+(]β-α,β]A) est inclus dans ]β, β+α] et, par hypothèse, λ(α+(]β-α,β]A)) = α. Donc λ(C]β,β+α]) = 0, d’où λ(C]0+ α]) = 0. Alors par définition du maximum, β β + α ; c’est absurde puisque α > 0.
  • λ(]β - α,β]\A) > 0.
    Alors λ(]β - α,β] B) > 0, donc il existe b ∈]β - α,β] B ; soit ε ∈]0] tel que b = β - α + ε.
    Alors λ(C]β,β + ε]) > 0, donc λ(-b + (C]β,β + ε]) > 0. Or : - b + (C]β, β + ε]) ]α-ε,α] ]0] et λ(A]0]) = α. Donc les ensembles A]0] et -b+(C]β,β+ε]) ne sont pas disjoints, d’où (b+A)Cpuis (B+A)C : absurde car la partition est adéquate.

Dans les deux cas, on obtient une contradiction, donc par symétrie on conclut qu’au plus un des trois ensembles A, B, C n’est pas voisin de 0. __

Lemme 2.Si (A,B,C) est une partition adéquate telle que 0 est point d’accumulation de A et B, alors C est d’intérieur vide.

Démonstration.Par l’absurde, supposons qu’il existe c < d dans [0,1] tels que ]c,d[C. On pose γ := inf{t ∈ [0,c] :  ]t,d[C} : on a ]γ,d[C. Par hypothèse, 0 est point d’accumulation de A et B, donc on peut choisir a ∈ A]0,d - γ[ et b ∈ B]0,d - γ[. On pose t0 := min (a,b) : alors t0 ∈]0,d[, et t0 ∈ A B d’où t0⁄∈C, donc t0⁄∈]γ,d[, et ainsi t0 ∈]0, γ].

Ainsi γ-t0 ∈ [0, γ[, et il existe x ∈]γ-t0,d[ tel que x⁄∈C. Alors x ∈]γ-t0], et x ∈ AB car la partition est adéquate. Or t0 a,b < d - γ, d’où x + a,x + b ∈]γ,d[C. Mais si x ∈ A alors x+b ∈ A+B et x+b ∈ C : absurde, et si x ∈ B, alors x+a ∈ (B +A)C : absurde également. Ainsi C est d’intérieur vide. __

On combine alors les résultats précédents pour conclure :

Proposition 2.Il n’existe pas de partition adéquate de [0,1] constituée d’ensembles mesurables non négligeables.

Démonstration.Par l’absurde on suppose disposer d’une telle partition (A,B,C). D’après le lemme 1, deux ensembles (au moins) parmi A, B, C sont voisins de 0. Par symétrie, on suppose que ce sont A et B. Comme φ : t ∈ [0,1]↦→λ(C [0,t]) est continue, φ(1) est strictement positif et il existe δ ∈]0,1[ tel que λ(C [0,1 - δ]) > 0.

On considère Aʹ (resp. Bʹ, Cʹ), l’ensemble des points de A [0] (resp. B [0], C [0, 1 - δ]) qui sont des points de densité de A [0] (resp. B [0], C [0,1 - δ]). D’après le théorème 1, Aʹ diffère de A [0] d’un ensemble négligeable. On en déduit :

  • Aʹ est mesurable, et comme un point de densité de A[0] est un point de densité de Aʹ, Aʹ ne contient que des points de densité de Aʹ ;
  • Pour δʹ ∈]0], λ(Aʹ∩]0ʹ]) = λ(A [0]]0ʹ]) = λ(A]0ʹ]) > 0 car A est voisin de 0, et donc 0 est un point d’accumulation de Aʹ.

Il en va de même pour Bʹ. Le premier point s’applique aussi à Cʹ : Cʹ diffère de C [0,1 -δ] (non négligeable) d’un ensemble négligeable, donc :

  • Cʹ est non négligeable, donc non vide, et ne contient que des points de densité de Cʹ ;
  • 0 est point d’accumulation de A et B (car ces derniers sont voisins de 0), et ainsi d’après le lemme 2, C est d’intérieur vide.

La partition étant adéquate, (Aʹ + Cʹ⊂ A + C) implique ((Aʹ + Cʹ) B = ).

Or Aʹ ⊂ [0, δ] et Cʹ⊂ [0,1 - δ], donc Aʹ + Cʹ⊂ [0,1] et ainsi Aʹ + Cʹ⊂ A C.

De même Bʹ + Cʹ⊂ B C, donc (Aʹ + Cʹ) (Bʹ + Cʹ) (AC) (B C) = C car A, B, C sont disjoints.

Or C est d’intérieur vide, mais d’après la proposition 1, Aʹ + Cʹ et Bʹ + Cʹ sont ouverts, donc (Aʹ + Cʹ) (Bʹ + Cʹ) est un ouvert d’intérieur vide, et (Aʹ + Cʹ) (Bʹ + Cʹ) = . On en déduit que (Aʹ - Bʹ) (Cʹ- Cʹ) est vide.

Or 0 est point d’accumulation de Aʹ et Bʹ, donc 0 = 0 - 0 est point d’accumulation de Aʹ- Bʹ. Et d’après la proposition 1, Cʹ- Cʹ est ouvert et contient 0 (car Cʹ non vide), donc (Aʹ - Bʹ) (Cʹ - Cʹ) n’est pas vide : c’est absurde. Il n’existe donc pas de partition adéquate constituée de trois ensembles mesurables non négligeables. __

Références

[1]   C-A. Faure, A Short Proof of Lebesgue’s Density Theorem, The American Mathematical Monthly, Vol. 109, No. 2 (Février 2002), pp. 194-196


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